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Les concepts de base


Avant toute chose, il convient de mener une réflexion profonde sur le potentiel de production dont on dispose : l’existant, l’antériorité, les objectifs, et les moyens à mettre en œuvre pour une transition réussie.  L’honnêteté et la pertinence du diagnostic vont directement conditionner la réussite du projet. Cette étape doit impérativement se faire avec lucidité et objectivité, faute de quoi les solutions retenues seront inadaptées et conduiront à l’échec.
Si vous vous sentez aveuglés par les problèmes, passionnés par des désirs ou enclavés par l’atavisme, il est préférable de réaliser ce diagnostic avec une entreprise extérieure, affranchie de  tout parti pris.

1 Quels vins puis-je élaborer ?

On va commencer par évaluer le potentiel de production de l’entreprise, autrement dit, quelle sorte de vins on peut produire. Il n’existe pas aujourd’hui de bons ou de mauvais vins, il y a simplement des vins en phase avec leur marché et leur époque, d’autres moins. Alors, sans à priori sur les différents produits, on va d’abord comprendre dans quelle cour on joue.

1.1 Le bilan “ terroir ”

            1.1.1 Préambules

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est important de s’accorder sur certaines notions chères à la viticulture de terroir. Tout d’abord, on va rechercher un raisin à fort potentiel œnologique, entendez par-là une forte identité intrinsèque à exprimer : une typicité.
On favorisera la concentration des matières dans le raisin, pour que, à l’issue d’une vinification adaptée, on obtienne l’expression la plus intense de la couleur, des arômes et du goût : un nectar !
Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire de rassembler 3 conditions concernant l’alimentation minérale et hydrique de la plante, un volume de récolte raisonné et des paramètres écologiques tout juste favorables.

                        1.1.1.1 Des sols maigres et secs

On fuira les sols profonds et riches qui bénéficient d’une alimentation hydrique régulière, satisfaisant tous les besoins de la plante.
Les alimentations minérale et hydrique ne sont pas directement néfastes à ce type de qualité recherchée. Cependant, toutes deux incitent la plante à s’investir dans la production végétative au dépend du fruit. La vigne a facilement tendance à oublier sa mission première, élaborer un fruit mûr pour assurer la survie de son espèce. Bien entendu, elle ne sait pas que nous allons en faire un tout autre usage, bien plus noble. Le moment crucial est l’aoûtement, couplé à la véraison. L’aoûtement conclut la phase du développement végétatif, la vigne nous indique qu’elle s’est assez occupée de sa surface foliaire, maintenant suffisante pour fournir l’énergie nécessaire aux différents métabolismes. La véraison montre que la grappe, jusqu’à présent considérée comme un vulgaire rameau, devient fruit et puits de synthèse. Une partie de l’activité est vouée à constituer des réserves pour le prochain millésime.
Un sol pauvre et une alimentation hydrique restreinte à l’approche de la véraison rappellent la vigne à l’ordre. Elle marque plus précocement et plus nettement cette transition. L’aoûtement des bois est rapide et complet, traduisant ainsi l’engagement de la plante à se consacrer pleinement à ses fruits, tout en constituant des réserves pour le futur.
Une deuxième notion est attachée aux sols pauvres : la typicité ou l’aptitude d’un sol à donner des choses particulières. Nous reviendrons sur cet aspect lorsque nous parlerons de l’approche naturaliste.

                        1.1.1.2 Un rendement adapté

En admettant que ces conditions soient réunies et toujours dans l’optique d’un vin de terroir, on doit fixer les idées sur la notion de rendement. Souvent exprimé en hectolitres (hl) ou quintaux (qx) par hectare, il ne reflète pas la production réelle des pieds de vigne vivants, pourtant déterminante en matière de concentration du vin. On admettra le postulat suivant : la vigne fait chaque année un quotta de synthèses qu’elle répartit entre les grappes. On s’accorde à penser qu’il devient difficile d’espérer une expression dite “ de terroir ” au-dessus de 1 litre par pied en rouge, un peu plus en blanc. On peut faire une comparaison simple avec le café dont la dose dans le filtre est fixe alors que la quantité d’eau varie. Peu d’eau pour un café séré ( 0.3 litres de vin par pied, 3 à 4 grappes), beaucoup d’eau pour un café dilué (plus de 3 litres par pied), et entre les deux, le café normal (1 litre par pied).
                        
                        1.1.1.3 Un climat tout juste favorable

Cette dernière notion relève de l’observation : les cépages donnent leurs plus belles expressions lorsqu’ils sont cultivés en limite nord (dans l’hémisphère nord) de leur zone écologique, limite au-delà de laquelle ils ne mûrissent plus leurs fruits. Tout se passe comme si, dans des conditions de maturation juste acceptables, lentes et laborieuses, la vigne diversifiait ses synthèses. La composition chimique du vin ne reflète pas, sauf  quelques cépages, l’expression organoleptique. De ce fait, on n’a jamais pu confirmer cette observation par l’analyse même si, tout dégustateur averti ne s’y trompe pas.
Seul un grand terroir peut offrir de la complexité et une persistance aromatique de 15 à 25 secondes. Ces deux critères font la différence entre un bon vin et un grand vin, justifiant ainsi un prix détaché de toute logique de stratification.
Après ces belles phrases, chaussons les bottes.

            1.1.2 Alors, ce “ terroir ” ?

 Quel mot évocateur souvent réduit à la signification que lui donne son auteur. L’approche la plus complète est franco-française, elle relève plus d’un concept que d’une définition.
Le terroir est l’ensemble des facteurs naturels et humains caractéristiques d’une aire qui confèrent au produit sa typicité.
Nous allons nous attacher à l’aspect agronomique. Depuis les années 50 mais surtout depuis les années 70, la recherche s’est fortement intéressée aux sols viticoles qui permettent l’obtention de vins à forte valeur ajoutée. L’idée maîtresse était de définir les types de sol qui, par leurs caractéristiques pédologiques, permettent l’obtention d’un raisin à fort potentiel œnologique constaté. Elle s’inscrit dans l’approche européenne du “ terroir ” comme entité spécifique, dont ont cherchera à valoriser toutes les particularités (cf. aléatoire ou contre).
Les concepts qui se dégagent aujourd’hui sont différents. Le premier, développé par l’équipe de M MORLAT de l’INRA d’Angers définit des Unités de Terroir de Base (U.T.B.) à partir de paramètres écophysiologiques. L’étude a débuté par un énorme protocole de collecte de données sur une longue période. Le traitement a permis de délimiter des entités (U.T.B.) corrélées à une qualité définie de vin. Cette approche a largement été confirmée sur son secteur. Cependant, elle ouvre la porte à un raccourci pour le moins hasardeux. En effet, on est toujours tenté de penser “  j’ai le même sous-sol et sol que tel Cru réputé donc je dispose d’un potentiel de production similaire ”. A l’inverse, on peut dire “ A tel endroit, ce type de sol n’a qu’un faible potentiel viticole, aussi, j’élimine tout sol similaire de ma sélection ”. De nombreux contre exemples en France montrent que ce raisonnement par similitude n’est pas fiable. C’est justement la notion du “ presque pareil qui fait toute la différence ”.
La deuxième approche est partie d’une étude des Grands Crus du Médoc par G. SEGUIN de l’Institut d’Oenologie de Bordeaux qui souhaitait répondre à la question :  “ existe t’il un type de sol prédestiné à donner des 1ers Grands Crus Classés ? Comme précédemment, on a débuté par l’étude des paramètres pédologiques (composition chimique, granulométrie, etc.…) sans grand succès. Aussi, on s’est orienté vers la notion de mésoclimat en intégrant d’autres paramètres comme le fonctionnement hydrique du sol et l’alimentation en eau de la vigne. Il s’est dégagé une idée maîtresse, à savoir qu’ “ un grand terroir a les aptitudes à compenser les excès climatiques ”. Pour illustrer cela, on peut étudier le système implanté sur des buttes de graves. La différence d’altitude d’une douzaine de mètres est trop faible pour induire une différence de climat. Le sol est très drainant ce qui permet à l’eau, en cas de pluies importantes,  d’atteindre la nappe phréatique sans grande difficulté. L’altitude du vignoble va finalement déterminer la hauteur à la nappe phréatique et par conséquent, le volume de sol exploitable par les racines. En haut de la butte, cette hauteur atteint 12 mètres et la vigne peut, à sa guise, développer son système racinaire au printemps. Elle ne rencontre pas d’horizon d’accumulation, ni de zone hydromorphe. Le sol étant très pauvre, avec une faible capacité de rétention, la plante va plutôt développer une grande racine profonde qui contribuera au stockage de l’eau (comportement méditerranéen). En cas de sécheresse prononcée, la plante subira un stress modéré du fait qu’elle atteint la frange capillaire de la nappe phréatique. Ce terroir de haut de but a les aptitudes à compenser les excès climatiques. Il héberge d’ailleurs la plupart des meilleurs Crus. En bas de la butte, la nappe phréatique se trouve à une profondeur faible de l’ordre d’un mètre en hiver, 2 mètres en été. Des pluies abondantes peuvent faire monter cette nappe d’une hauteur significative par rapport à la hauteur de sol exploitée. Au printemps, la rysogénèse est restreinte par la présence de l’eau. Le développement végétatif se déroule bien malgré un système racinaire sous dimensionné, grâce à l’eau facilement disponible. En cas de période de sécheresse, cette disproportion entre “ végétatif demandeur ” et “ racinaire fournisseur ” s’affirme dès que le profil s’assèche. Rapidement, la vigne subit un stress exagéré et se “ bloque ”. Elle n’assure plus les synthèses essentielles dans la maturation du fruit. Le potentiel aromatique est restreint en quantité mais aussi en qualité. L’expression gustative est aussi concernée, surtout celle des vins rouges qui évoquent les fruits pas mûrs par des notes acerbes.
En résumé, la parcelle du haut est peu sensible à des pluies importantes, le drainage se fait bien et la nappe est profonde. En cas de sécheresse, la vigne subit un stress modéré car elle occupe un volume de sol important et trouve en profondeur, l’eau juste nécessaire à son fonctionnement. La parcelle d’en bas est sensible à des précipitations importantes parce que la nappe est proche de la surface. Elle maintient une hydromorphie tardive, limitant le développement racinaire. En cas de sécheresse, les besoins de la partie végétative seront trop importants par rapport aux possibilités d’un système racinaire. Cette parcelle sera limitante à l’occasion d’excès climatique.
On notera l’importance de la pluviométrie dans l’effet millésime. Si l’alimentation en eau est modérée au printemps et régulière en été, la parcelle limitante produira, à titre exceptionnel, un raisin à fort potentiel qualitatif. Finalement, le climat aura fait ce que le sol ne peut faire. Le concept de terroir inclus la notion de régularité en montrant une aptitude régulière probable à offrir un grand vin. Pour donner une image simple, un grand sportif a un palmarès impressionnant, ce qui ne l’empêche pas de se voir devancé par un illustre inconnu, auteur d’une performance d’un jour.
Ces travaux ont ensuite été appliqués par J.DUTEAU, de l’Institut d’Oenologie de Bordeaux, au système complètement différent des sols du plateau de Saint Emilion. Ce sont des sols bruns calcaires (terrefort), très riches, à forte capacité de rétention mais très peu épais, établis sur le calcaire dur à quelquefois 20 cm seulement. Dans ces conditions, on se demande comment la vigne peut vivre avant même de songer à la qualité du raisin. La forte proportion d’argile rend le sol lourd, peu drainant et lorsqu’il pleut, l’essentiel de l’eau ruisselle, il n’y a jamais d’hydromorphie. En été, le sol va restituer l’eau de rétention mais sa faible épaisseur limite le volume disponible, insuffisant pour alimenter la plante. On a fait des profils hydriques qui ont mis en évidence l’importance de la roche comme réservoir d’humidité. Le calcaire est poreux et la vigne, par capillarité, va aller chercher l’eau qui humecte la roche. Elle peut ainsi affecter 4 mètres d’épaisseur et s’assurer une alimentation hydrique restreinte mais suffisante. Comme dans le cas précédent, ce système très particulier a la capacité à compenser les excès climatiques, c’est un excellent terroir.

            1.1.3 L’approche du vignoble par le terroir ou vin de niche

Nous venons de voir deux types de sol très différents sur le plan pédologique mais proches dans leur fonctionnement hydrique. Ils ont tous deux les capacités à produire un raisin particulièrement concentré et typé à condition de réunir d’autres conditions : un rendement au pied faible ( 0.3 à 0.5 litres), un sol vivant et naturel.
Ces grands terroirs sont aujourd’hui les plus prestigieux de la vieille Europe et donnent des vins rares et chers. Outre la qualité organoleptique et le plaisir de leur dégustation, ils font appel à une qualité psychologique ou qualité valeur liée à leur prestige et leur antériorité. Les prix atteints relèvent plus d’une logique d’achat d’objet d’art qu’une logique de marché, avec tout le rêve et la passion que cela peut susciter. Cependant, quand on partage la démarche qui conduit à leur élaboration, ils peuvent représenter un modèle à atteindre et servir de but dans l’évolution vers la perfection, si tant est qu’elle existe. Comme dans les autres arts, des tendances contemporaines viennent bousculer l’ordre établi avec certaines réussites échappant à  toute règle. Quelque en soit les raisons, ces vins sont rares et élitistes. L’offre est toujours très inférieure à la demande et on pourrait penser que leur commercialisation ne pose pas de problème. Au contraire, faire en sorte que le vin soit rechercher se construit et s’entretient, avec plus de rigueur qu’il n’y paraît, indépendamment du parcours cultural qui doit être irréprochable. Ils s’adressent à des consommateurs très exigeants qui recherchent l’essence du raisin, un vin très concentré avec une harmonie et une élégance sans pareil, agrémentées d’une rémanence aromatique importante.
Dans cette approche de vins ou vignobles de niche, on va chercher à faire s’exprimer ce qu’il y a d’aléatoire dans cette production, à commencer par le mésoclimat (terroir limitant, cépage en limite écologique), puis l’effet millésime, la personnalité du maître de chai à travers sa vinification et la recherche de la concentration de ces éléments dans le vin. On est proche de la démarche d’un artiste qui choisit sa palette et exécute l’œuvre. L’identification du consommateur à cet artiste sera reprise dans le référencement.

1.1.4 Approche du vignoble par le marché ou vin process

Après avoir illustré la notion de grand terroir, il convient d’envisager une autre approche du potentiel viticole comme une aptitude à produire une quantité régulière de raisin, de qualité nature constante, ce, dans le but de répondre à une demande ciblée.
Tout par d’une étude marketing qui détecte une opportunité. On va ensuite chercher à élaborer le vin qui répond à la demande sur les plans quantitatifs et qualitatifs. Pour ce faire, on va viser un certain rendement de raisin à la composition chimique minimale requise chaque année. L’aspect botanique et la conduite de ces vignes seront traités dans le bilan production. Quant au “ terroir ” pour garder le même vocabulaire, on s’oriente vers des parcelles qui vont garantir une constance de la production. Concernant l’ensoleillement, on évaluera l’offre énergétique de l’endroit que l’on comparera aux besoins du cépage choisi. On peut retenir un lieu pour son ensoleillement largement suffisant ou, connaissant l’énergie disponible, se rabattre sur un cépage aux besoins moindres. Pour le substrat, on s’orientera vers des sols fertiles et profond, courants en plaine. La fumure d’entretient sera en rapport avec le seuil de production visée. L’alimentation hydrique est un point déterminant car, en France, les mésoclimats les plus chauds sont aussi les plus secs durant la période végétative, de type méditerranéen. Les rares précipitations sont violentes et trop importantes. Sauf cas très particuliers, l’irrigation est interdite pendant cette période en France alors qu’elle est couramment, pour ne pas dire systématiquement pratiquée par nos concurrents du nouveau monde. La législation pourrait s’assouplir prochainement dans l’optique d’une irrigation raisonnée, sans augmentation de rendement, pour palier au blocage de végétation. Autrement dit, il ne semble pas judicieux en l’état d’orienter son exploitation vers une production de ce type sauf si l’endroit permet une alimentation hydrique naturelle suffisante.

Dans cette approche, le raisin est considéré comme une matière première  presque neutre qui va gagner son potentiel au cours de la transformation. Par sa rigueur et sa régularité, elle s’inspire des méthodes de l’industrie. A contrario des vins de niche, on cherche à s’affranchir d’une nature versatile grâce à des techniques contre aléatoires. Ces vins technologiques entrent dans la conception anglo-saxonne du produit et se prêtent à une démarche de marque.

1.1.5 Et entre les deux : l’approche artisanale ?

Entre ces deux extrêmes se trouve la majeure partie des vignobles de France et d’Europe, implantés sur des terroirs à bon potentiel viticole. Par “ bon potentiel viticole ”, on entend une aptitude assez constante à produire un raisin d’identité relativement marquée, souvent confirmée depuis longtemps par un usage bien ancré. La notion de millésime prend ici toute sa valeur. Sauf conditions exceptionnelles, comme la sécheresse en 2003 ou la pluie en 2002, ces sols vont bien compenser les excès climatiques (7 à 8 années sur 10). Ils donneront un raisin de bon potentiel œnologique sans toutefois pouvoir prétendre à une grande complexité aromatique, ni à une persistance aromatique dépassant les 10 à 12 caudalies. Les vins obtenus s’intègrent dans la tradition locale. Il n’est pas question de céder ni au “ démon productiviste ”, ni de s’isoler dans le “ vin artistique ”. On élabore un vin artisan, à partir d’un vignoble artisanal. Ce concept transpire les fondements de la viticulture de la vieille Europe ( Espagne, Italie, France et Portugal dans l’ordre viticole), tant dans la pratique que dans la reconnaissance et la défense.  L’Appellation d’Origine entérine  l’usage local et constant par toutes les particularités du lieu et des pratiques issues de l’histoire et de la culture. Le référencement à l’A.O. sou tend une identification à la tradition, propriété collective, qui n’est plus garante aujourd’hui, de débouchés commerciaux.

1.1.6 Conclusion

On retiendra ces 3 types de terroirs :
  


 
Grand Terroir
Terroir
Plaine
Type de vin
Niche
Artisan
Process
Aptitude à compenser les
excès climatiques
+++
+ ou -
faible
Nutrition et alimentation hydrique
très limitant
assez limitant
non limitant
Potentiel quantitatif de
production
réduit
normal
fort
Démarche
favorise l’aléatoire
tendance vers l’un ou l’autre
contre
aléatoire
Approche
à partir de la production
un peu des deux
à partir du
marché
Référencement
Artiste
 
A.O.
propriété
collective
Marque
propriété individuelle

1.2 Le bilan rendement

On a trop souvent l’habitude d’estimer le rendement façon “ déclaration de récolte ”, par exemple, 600 hl sur 10 ha, soit 60 hl/ha.

Il convient d’apprécier à sa valeur exacte le rendement au pied, par unité  culturale.

Dans la pratique, certaines parcelles de vieilles vignes produisent 15 à 20 hl/ha et n’autorisent pas pour autant les excès sur de jeunes plantations en  compensation. Nous ne parlerons pas des “ vignes éponges ”, parcelles sans production que l’on maintient pour officialiser des excédents. Dans les deux cas, le viticulteur se trompe et ne peut espérer un développement durable.
On a aussi tendance à négliger les pieds manquants qui, par leur absence, majorent nettement les rendements réels. Aussi, on procédera à un comptage pour chaque unité culturale, et tant qu’à faire, on constituera une base de données, fort utile dans le suivi des maladies de dépérissement.
A partir de maintenant, il est important de bien comprendre dans quelle cour on joue. Aussi, nous retiendrons 3 types de viticulture, qui serviront de base de calcul des coûts de production et orienteront le référencement et la communication.
  


 
Rendement
au pied
Densité de plantation/
Rendement hectare
 
Concentration
du vin
Vignoble de niche
0,3 litre
10000 pieds/ 30 hl
+++
Vignoble artisanal
1 litre
5000 pieds/ 50 hl
+ ou -
Vignoble industriel
4 litres
2000 pieds/ 80 hl
-

Rappelons aussi que le rendement figurant dans le décret n’est pas un but à atteindre, encore moins lorsqu’il est majoré du plafond limite de classement. Autrement dit, un vignoble planté à 2000 pds/ha peut donner un vin très concentré si on se cantonne à un rendement inférieur à 20 hl/ha ou 1 l/pied.

1.3 Le bilan conduite

 Avec le bilan terroir, on a déterminé le potentiel qualitatif actuel de la propriété mais il convient de définir la manière dont on l’exploite. Pour cela, on abordera le mode de conduite au sens propre, puis le système de lutte. Il n’est pas question ici de proposer un manuel de “ viticulture idéale ” mais plutôt, de donner des outils d’appréciation. On considère que le lecteur maîtrise l’aspect technique et cherche à prendre du recul sur ses choix.
            
            1.3.1 La conduite

Nous allons reprendre nos 3 cas et constater que les choix se font à la plantation. Par la densité de plantation et le rendement au pied visé, on conditionne bon nombre de conséquences.
En vignoble industriel, on part du marché qui impose généralement un prix de vente bas et bloqué. Pour dégager de la marge bénéficiaire, on va chercher à optimiser la conduite pour un coût de production moindre du volume maximum. Concernant le coût de production, la main d’œuvre est un poste, si ce n’est le poste, prépondérant. Aussi, la mécanisation est un élément clé si on limite le nombre d’interventions. Quant au volume, on rassemblera les conditions nécessaires pour atteindre le rendement  voulu ou autorisé.
Sur le plan pratique, on choisira le mode de conduite qui nécessite le moins de main d’œuvre et d’interventions comme le cordon de Royat que l’on peut pré-tailler. La vigne sera désherbée et les sarments broyés, le sol non travaillé. Le nombre d’yeux, et la fumure seront adaptés à chaque cas.
Un autre moyen d’optimiser est d’accroître le rendement au pied en maintenant la qualité requise. Pour cela, on va favoriser des palissages à grande SFE, qui doublent ou quadruplent la surface de feuillage comme le GDC ou la Lyre. Dans ces cas, la densité de plantation peut descendre à 1600 pieds/ha et les rendements atteindre 150 hl/ha avec une bonne maturité. Ces systèmes ont montré leurs performances dans l’élaboration de vin de table à l’étranger. Ils sont cependant peu adaptés à une viticulture à la française, même en vin de pays, car les rendements atteints sont trop importants. Si on diminue ces rendements, on n’amortit plus les surcoûts de palissage et les moûts sont trop riches.
En vignoble de niche, c’est la démarche opposée : on part du produit que l’on veut unique et rare. La valeur est souvent fixée par une limite au-delà de laquelle il ne se vend plus. On remarque que la notion de rapport qualité/prix n’est plus valable parce que  la qualité n’est plus l’élément principal du choix (cf. qualité). Cette approche est dangereuse en période de crise car on ne peut baisser fortement le tarif habituel sans nuire à l’image perçue par le consommateur. En règle générale, ces vins génèrent une valeur ajoutée importante, voire considérable. Quant à la viticulture, autant dire qu’on ne regarde pas à la dépense. On plante à la densité la plus élevée (10 à 12000 pieds/ha) ce qui interdit les grandes surfaces foliaires. Aussi, on observe des vignes basses, conduites en taille sévère. Les sols sont travaillés, quelques fois enherbés, très rarement désherbés. Les sarments sont ramassés, palissage et manquants sont très suivis, on vise le zéro défaut. Ces viticulteurs sont conscients du patrimoine naturel dont ils disposent. Cette conscience s’est renforcée ces dernières années et bon nombre d’entre eux mènent une réflexion profonde et intégrée sur le potentiel de ce patrimoine. Cela passe souvent par la remise en cause de leurs pratiques culturales et l’acceptation de nouveaux concepts comme la considération du sol en tant qu’écosystème vivant. Cette mouvance sera approfondie dans le paragraphe suivant.
Le vignoble  artisanal est intermédiaire en tout. Sa conduite résulte d’un compromis entre rentabilité (optique industrielle) et recherche d’un vin  concentré et particulier (vignoble de niche).
Cette harmonie est fragile car elle est sensible à beaucoup de facteurs extérieurs. Si la catégorie supérieure subit une baisse, on se retrouve non compétitif puisque, à prix égal, le consommateur trouve meilleur ou plus célèbre. On est alors contraint de diminuer les coûts et on glisse alors vers une viticulture industrielle,  très difficilement réversible.
A l’inverse, on peut aussi s’orienter vers les marchés de niche en s’investissant  dans une viticulture coûteuse (augmentation de la densité de plantation, opérations manuelles, etc.…). Progressivement, on verra la concentration, la personnalité du vin se démarquer du segment de départ. Il restera à se faire connaître en tant que tel pour justifier d’un prix beaucoup plus élevé. Le marché français actuel illustre bien ces propos puisqu’on rencontre tous les cas de figure dans une conjoncture difficile : bon nombre d’AOC connaissent des difficultés de commercialisation, certains vins ont des côtes inférieures à leur coût de revient. Au contraire, certains viticulteurs vendent à des prix parmi les plus élevés du Monde, en revendiquant leur production en VDT ou VDT.
En conclusion, ce paragraphe n’apporte pas de solution miracle : il n’existe pas un type de vignoble qui conduise à la réussite sinon, tout le monde l’aurait adopté. En revanche, le viticulteur doit prendre conscience qu’une partie de la solution réside dans ses choix viticoles.
Une conjoncture difficile, que ce soit à l’échelle du Domaine ou globale, n’est pas la cause première d’un échec, elle n’est que le révélateur  de faiblesses internes.
A ce stade de l’analyse, le problème récurrent vient souvent d’une conduite inadaptée au type de vin souhaité, ou inversement. On doit définir ce type à partir de l’existant, ou créer le vignoble en fonction du type choisi et ensuite, mettre en œuvre des moyens cohérents avec les objectifs.

1.3.2 Le système de lutte

La conduite de la vigne détermine la structure du pied et l’organisation de la parcelle. Ceci étant, il va falloir combattre de nombreuses attaques pour assurer qualité de la récolte (saine et mûre) et quantité (rendement économique) mais aussi la pérennité du vignoble.
Parmi les fléaux qui touchent la vigne, on entend les prédations des animaux, les accidents climatiques (grêle, gel, tempête, …) et les maladies d’origines virale, bactérienne et surtout cryptogamique. Les deux premiers sont des facteurs aléatoires que l’on ne peut retenir, tant qu’ils gardent un caractère exceptionnel. Si leur fréquence est régulière, on rejoint le chapitre précédent pour conclure que l’endroit est naturellement inadapté à la viticulture.
Quant à la troisième catégorie, elle représente le souci majeur du viticulteur. Les maladies virales sont théoriquement absentes d’un matériel végétal certifié, les maladies bactériennes sont rares.
Cependant, les maladies cryptogamiques (champignons microscopiques) sont omniprésentes sous deux formes : la première se développe durant le cycle végétatif alors que la deuxième est une forme de survie qui passera l’hiver jusqu’au prochain cycle végétatif. On a souvent tendance à combattre la forme visible de la maladie sans s’attaquer à la source : on jugule l’effet sans se préoccuper de la cause !
Nous allons voir différents concepts, de la “ guerre chimique ” à la médiation, en dégageant les inconvénients et les atouts de chacun. Cet inventaire peut sembler hors de notre propos mais nous verrons que le système de lutte est déterminant dans les coûts de production, la fixation du prix et donc, le positionnement. Au-delà de cet aspect, le système de lutte doit être cohérent avec l’image retenue pour l’entreprise de manière à obtenir la qualité de vin souhaitée et à pouvoir communiquer judicieusement.

            1.3.2.1 La lutte systématique

Développée dans les années soixante, elle a suivi les progrès techniques et commerciaux de l’industrie phytosanitaire. La multiplication des molécules, l’augmentation de leur puissance et le développement d’un réseau associant commerce et conseil ont contribué à une implantation massive de ce système simple. On se base sur la rémanence  du produit qui conditionne les applications.
Les inconvénients sont multiples : cette lutte est aveugle, nuisible à l’environnement et à son utilisateur, mais surtout, elle ne garantit pas la préservation du vignoble et de la récolte alors qu’elle est la plus coûteuse. L’aspect financier sera repris dans le chapitre gestion. Question impact sur l’environnement, les matières actives sont extrêmement puissantes et détruisent généralement toute la microflore. On crée une zone aseptisée, sans concurrence, qui deviendra un milieu facile à coloniser pour tous microorganismes adaptés (similitude avec les maladies nosocomiales). Parmi ceux-là figurent les mutants des espèces combattues, devenus résistants à la matière active employée régulièrement.
Les produits sont extrêmement dangereux pour l’utilisateur inexpérimenté. Devant la recrudescence des problèmes liés aux traitements phytosanitaires, les pouvoirs publics réfléchissent à la nécessité d’une formation professionnelle diplômante, obligatoire pour toute pulvérisation. Autrement dit, on devra intégrer cette contrainte dans la gestion et le management du Domaine.
1.3.2.2 La lutte raisonnée

            S’inscrivant dans le cadre de l’agriculture raisonnée, elle se pratique à l’échelle de la propriété et se base sur la notion de risque phytosanitaire.
Elle doit satisfaire aux nouvelles exigences de la société en terme de traçabilité et de respect de l’environnement. Elle a pour ambition de maîtriser les effets négatifs de l’agriculture sur l’environnement tout en assurant, grâce à la qualité des produits élaborés dans ce cadre, l’amélioration de la rentabilité économique de l’exploitation.   
On a pu modéliser le développement des champignons pathogènes parce que leur cycle épidémique est étroitement lié aux conditions  météorologiques. Les organismes spécialisés délivrent localement des avertissements qui déterminent l’intervention chimique. On vise ainsi à supprimer les traitements préventifs pour finalement n’appliquer que les traitements nécessaires.
C’est une méthode plus naturaliste et intelligente, d’un coût moindre et justifié mais qui ne fait appel qu’à l’intervention chimique. Elle combat les effets des maladies quand elles apparaissent, sans se préoccuper des causes.                          
Nous verrons que ce système satisfait mieux à la demande des consommateurs, matérialisée par celle des grands distributeurs, vers une certification simple, identifiable, au cahier des charges plus facile à mettre en œuvre que l’agriculture biologique.
            
1.3.2.3 Les mesures prophylactiques

Un bien grand mot pour beaucoup de bon sens : ces mesures concernent toutes les interventions qui gênent la conservation des foyers de maladie. Elles ne détruisent pas les fléaux, elles contribuent à empêcher leur implantation et leur propagation. Les formes de survie des pathogènes se conservent sur les bois infestés, dans les amas de feuilles et bois morts et les zones humides (flaques, mares et fossés). La première des mesures est l’élimination de ces zones humides.
Concernant les bois, le broyage des sarments est à proscrire. Les souches infectées qui dépérissent doivent être arrachées. Il est inutile de “ sortir les bois ” de la vigne, ceps et sarments, pour les entasser à proximité de la ferme. La dissémination des spores peut se faire 2 kilomètres autour du tas. Il faut donc brûler ces bois, ou les conditionner en sac (sarments broyés). Dans le cas des débris végétaux, un simple enfouissement suffit à neutraliser les foyers. D’autres idées seront développées dans le paragraphe consacré à la viticulture naturelle.

                        1.3.2.4 La lutte intégrée

On passe ici à une autre conception de l’agriculture en général, et de la viticulture en particulier. Les luttes systématique et raisonnée sont affiliées, elles prônent le tout chimique pour ne combattre que les effets des maladies. La lutte intégrée s’approche doucement de l’agrobiologie.
Elle s’inscrit dans la production intégrée, définie par l’Organisation Internationale de la Lutte Biologique (O.I.L.B.) : la production intégrée en viticulture consiste en une production durable, économiquement viable de raisins de haute qualité, donnant priorité à des méthodes écologiquement plus saines, minimisant les effets non intentionnels indésirables et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, en vue de préserver l’environnement et la santé humaine.
Elle favorise délibérément  les mécanismes de régulation naturelle en maintenant une diversité biologique dans l’écosystème viticole et ses alentours.
Dans la pratique, la lutte intégrée résulte de la synthèse des mesures prophylactiques, de la lutte raisonnée et de la notion de perte de récolte. On va instaurer, ou rétablir, un équilibre entre la vigne, son écosystème et le climat local. On va rendre le milieu hostile aux pathogènes en favorisant la concurrence pour en limiter les attaques. On acceptera une petite perte de récolte si le coût est moindre que celui d’une intervention chimique.
Ce système de lutte est sans doute le meilleur compromis mais nécessite de la part du viticulteur une grande connaissance du milieu, doublée d’une motivation à toute épreuve.
            
1.3.2.5 La viticulture naturelle

On emploiera ce terme car on parle ici de concept et non de la certification. On rentre dans un monde où l’utilisation de tout produit de synthèse industrielle est bannie. Mais, la viticulture naturelle ne se limite pas à la suppression des interventions chimiques, c’est une approche complète quasi opposée à l’agriculture conventionnelle. Claude Bourguignon distingue l’agrologie de l’agronomie :
L’agrologie est comme la science, la connaissance du champ, alors que l’agronomie en est la loi, la police. Dépasser l’agronomie revient à passer d’une approche dirigiste et simplificatrice de l’agriculture à une approche plus scientifique et plus globale. Il ne s’agit plus de forcer la vigne, ou l’animal d’ailleurs, à se plier à notre modèle productiviste, mais de comprendre et d’accepter la complexité de la nature.
La question de départ était : comment contraindre l’écosystème à supporter la vigne qui produira ce que je veux ? Elle devient double :
- Comment inciter  la vigne à s’intégrer dans cet écosystème ?
- Une fois acceptée, la vigne et l’endroit pourraient-ils ensemble conduire à un
            vin particulier, riche et bon ?
Pour évoluer vers ce type de viticulture, on doit effacer la plupart des acquis et repartir sur de nouvelles bases, à commencer par le sol. L’agriculteur attache souvent plus d’importance à la plante qu’au sol qu’il considère comme un support plus ou moins docile, inerte et stable. En réalité, le sol est l’élément essentiel, on le qualifie d’être vivant qui naît, atteint la maturité et meurt. A l’échelle humaine, l’évolution est lente, presque imperceptible mais bien réelle. Depuis les années 60, la mécanisation, le désherbage et les sols non travaillés ont conduit à une dégradation physique. Le plus désastreux est ce qu’on ne voit pas : la vie du sol. A la base, cette vie grouillante admirablement organisée en une chaîne de vie est sensée faire le lien entre la matière minérale et la matière organique en assimilant, en construisant des substances assimilables, autorisant ainsi une vie plus élaborée. Du champignon aux microbes en passant par les bactéries, tous sont spécifiques de l’écosystème ( géologie, mésoclimat ) et sont seuls garants d’une typicité au sens strict. Au lieu d’intégrer cette composante d’un vrai terroir, de la caractériser, de la préserver et de l’entretenir, on a tout fait pour s’en affranchir. Fongicides et pesticides détruisent la microflore autochtone pour permettre l’implantation d’une population de substitution uniforme.
Sans entretient, déstructuré et lessivé, neutralisé par une aseptisation systématique, le sol est peu à peu réduit au rôle de support quasi inerte. Si l’on rajoute à cela des exigences de production qu’un sol affaibli ne peut satisfaire, il faut bien apporter des compléments nutritifs de synthèse. Aujourd’hui, on se préoccupe de nourrir sa vigne, et peu son sol. Hélas, elle s’apprivoise vite et, comme un chien docile qui attend sa gamelle, la plante déploie tous ses efforts dans un système racinaire horizontale, perdant sa faculté originelle à se  développer verticalement en profondeur.
Les naturalistes soulignent l’incohérence de ce système productiviste dans lequel on communique sur les mérites du terroir, de la typicité alors que dans la pratique, on est proche de la culture hors sol, dont on sait qu’elle donne des légumes insipides. Dans les différents courants de cette approche, le sol retrouve toute sa place comme l’élément prépondérant. Il reste à le cultiver et là, les approches sont différentes selon qu’on s’oriente vers l’agriculture biologique ou bio dynamique.
                                    1.3.2.5.1 L’agriculture biologique

La France est le premier pays au monde à créer une législation sur l’agriculture biologique. C’est en 1980 que naît la première définition légale : “ c’est l’agriculture n’utilisant pas de produits chimiques de synthèse ” (loi d’orientation agricole n° 80-502 du 4 juillet 1980). Cette loi est complétée en 1981 par le décret n° 81-227 du 10 mars relatif à l’homologation des cahiers des charges définissant les conditions de production de l’agriculture biologique (ROUSSEAU, 1991).
Née il y a 50 ans en Allemagne, elle a subi des influences diverses avant de devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Depuis HOWARD et PFEIFFER, deux précurseurs de l’agriculture biologique, elle est basée sur l’équilibre entre les éléments composant la nature, ainsi que sur l’entretien de la fertilité du sol par l’apport de compost. C’est à partir de ces deux principes que naît en 1980 la première règle légale définissant l’agriculture biologique. Par la suite, le développement de cette agriculture a entraîné l’apparition d’organismes certificateurs et la mise en place de cahiers des charges. Maintenant, ces organismes font appliquer une réglementation très précise dont le principe essentiel est la non-utilisation de produits chimiques. La viticulture biologique, comme les autres productions, est donc soumise à cette réglementation, avec quelques nuances concernant l’étiquetage notamment.
La pratique de la viticulture biologique nécessite des techniques culturales précises et complexes. Le poste le plus important est l’entretien du sol, car celui-ci influe sur l’ensemble de la culture de la vigne. Pour cela, l’enherbement est une pratique courante, car elle permet une amélioration de la structure du sol, son enrichissement, et favorise la faune auxiliaire. Pour compléter les effets de l’enherbement, la fertilisation organique (principalement apportée par compost) remplace la fertilisation chimique. Après l’entretien du sol, la principale préoccupation du viticulteur “ bio ” est la protection de la vigne.
A ce niveau, il est confronté à deux impasses : l’utilisation excessive de cuivre contre le mildiou, et la lutte contre la flavescence dorée. Les autres maladies et ravageurs ont généralement peu de conséquences sur la vigne “ bio ” grâce à l’équilibre général de la culture et à certaines méthodes de lutte performantes (lutte biologique et confusion sexuelle).
Il ne faut pas imaginer que la viticulture biologique est simple à mettre en œuvre, qu’on laisse faire la nature, bien au contraire. C’est bien parce qu’on s’interdit toute intervention chimique et coercitive qu’il faut faire preuve d’un haut niveau de technicité.
La complexité de la viticulture biologique entraîne obligatoirement une modification de l’ensemble de l’exploitation (notamment par l’augmentation de la main d’œuvre nécessaire), mais également de son résultat. En effet, pendant la période de conversion de trois ans, l’augmentation des charges sans contrepartie entraîne une diminution nette du résultat. Par contre, une fois la production vendue sous l’appellation “ issue de raisins de l’agriculture biologique ”, les charges sont largement compensées, d’autant plus que le marché des vins “ bio ” est en constante augmentation. Seuls quelques points restrictifs de la réglementation limitent son développement.

1.3.2.5.2 L’agriculture  biodynamique

            Pour comprendre ce mode de culture, il est nécessaire de revenir aux fondements de cette discipline qui n’est pas un phénomène nouveau. Comme l’expliquent la plupart des auteurs ayant étudié le sujet, c’est en 1924, à Koberwitz (aujourd’hui en Pologne), que Rüdolf Steiner (1861-1925) donna les bases de la méthode bio-dynamique, à travers une série de conférences, souvent décrites comme “ Cours aux agriculteurs ”. R. Steiner, inspiré des nombreux écrits de Goethe, est le fondateur d’un courant de pensée appelé l’anthroposophie (littéralement la sagesse de l’homme), qu’il définit comme une méthode scientifique exacte permettant de faire des recherches sur les mondes suprasensibles. SILGUY (1991) explique que le but de Steiner était de créer une science spirituelle, applicable à tous les domaines de la vie, notamment à l’agriculture. Pour elle, cette démarche spirituelle peut surprendre et choquer, mais elle permet une compréhension plus approfondie du monde qui nous entoure.
Durant ses conférences de 1924, Steiner expliqua que l’univers comprenait d’une part une réalité matérielle, c’est-à-dire ce que perçoivent généralement nos sens corporels, et d’autre part des phénomènes psychiques, qu’ils ne captent pas. Pour lui, une science qui ne considère que les lois de la matière limite beaucoup ses capacités de compréhension du monde en général, alors qu’une science “spirituelle ” permet de mieux appréhender le monde terrestre en interaction avec l’univers. Son approche anthroposophique de l’agriculture se traduit par une inquiétude en ce qui concerne l’utilisation excessive d’intrants chimiques au sein d’un sol considéré comme un organisme vivant et les nombreux déséquilibres qui s’en suivent. Steiner donna également toute une série de conseils pratiques, applicables sur le terrain pour régénérer un sol épuisé par les pratiques intensives et pour développer les liens entre vie pédologique, vie végétale et énergies cosmiques. C’est E. Pfeiffer, à partir des thèses de Steiner, qui élabora la méthode ensuite appelée “bio-dynamique ” (en grec : vie et énergie) et qui la mit en place pour la première fois sur des domaines agricoles européens et américains. A ce jour, elle est surtout pratiquée dans les pays germanophones (Allemagne, Pays-Bas, Suède, Suisse, Belgique), aux Etats-Unis et elle regroupe plus de 600 000 ha en Australie !
En France, cette technique a longtemps été considérée comme farfelue, peut-être à cause de quelques partisans sectaires, soit disant adeptes de la biodynamie, pour justifier d’un mode de  vie marginal. Aujourd’hui, de plus en plus de viticulteurs se penchent objectivement sur la question. Certains parmi les plus célèbres, ou les plus importants, convertissent progressivement leur propriété en tout ou partie. D’autres abandonnent simplement les usages productivistes et s’orientent vers des pratiques plus naturelles en s’inspirant de quelques principes de la biodynamie. Qu’ils revendiquent ou non leur démarche, ils sont tous motivés par une conscience patrimoniale de leur terroir.
Les vignerons n’utilisent pas de produits de synthèse (tels les engrais, les insecticides, les pesticides, les désherbants), ils répondent en ce sens aux critères de l’agriculture biologique mais la démarche est bien plus profonde, animée par des principes :
La notion d’individualité agricole : le domaine (agricole) doit être indépendant sur leplan énergétique au sens chaîne alimentaire. Il y a une complémentarité nécessaire entre le troupeau qui fournit du fumier et du lisier à destination des cultures qui, elles, fournissent les fourrages et la nourriture nécessaires aux bêtes, les prairies assurent la rotation. En viticulture, on est souvent en monoculture alors à défaut d’animaux, de surfaces cultivées et  enherbées, on se procure les lisiers.
La conception de la maladie. Le problème des ravageurs et des maladies présente un très grand intérêt du point de vue bio-dynamique. STEINER (1924) pensait que “ la dégénérescence est une conséquence de la destruction de l’équilibre biologique et amène l’irruption des “ ravageurs ” et des maladies : c’est la nature elle-même qui liquide ce qui n’a plus assez de force pour vivre. Pour lui, “ la maladie est souvent un bien qui n’est plus à sa place, un organisme sorti de la sphère où sa présence est salutaire ” et c’est dans le sol qu’il faut essayer de comprendre ce déséquilibre. Un champignon au niveau du sol peut être tout à fait inoffensif, mais totalement nuisible s’il remontre vers les parties foliaires de la plante. Ainsi, en 1993, des chercheurs de l’Institut d’œnologie de Bordeaux ont mis en évidence la présence, dans les sols des vignobles, d’une bactérie active contre le Botrytis, à partir de laquelle ils ont pu élaborer un fongicide biologique hautement efficace. Pour les bio-dynamistes, “ l’anti-Botrytis ” est déjà dans la vigne, à condition de ne pas le détruire. De leur point de vue, aussi bien le Botrytis que le mildiou et l’oïdium, sont des champignons que l’on a forcé à quitter le sol où ils étaient inoffensifs, et qui ont migré vers les parties aériennes de la vigne, feuilles et grappes, devenant des parasites. De même, les spécialistes ne sont pas en mesure aujourd’hui d’expliquer les phénomènes qui provoquent l’eutypiose, cette maladie si menaçante. (PEYROULOU, 1993). Contrairement à la viticulture biologique, on ne cherche pas à combattre la maladie, on cherche à l’éviter. Plutôt que de subir l’effet, on s’attaque à la cause en rétablissant les équilibres du biotope et en rendant la plante forte et hostile : un problème doit être appréhendé dans sa globalité.
Le sol : un organisme à part entière. Le dessein principal de la biodynamie est de recréer un équilibre durable entre le sol nourricier et la culture en place. La méthode permet de vivifier le sol afin que la plante retrouve ses ressources naturelles dans un sol bien pourvu, non pas dans un sol pauvre auquel on apporterait chaque année des engrais de secours afin d’assurer la récolte de l’année. On favorise un système autonome en acceptant la récolte qu’il a la capacité intrinsèque à produire.
Les énergies et les rythmes naturels : pour les bio-dynamistes, l’exploitation agricole et par-là même les cultures, matérialisent un lien entre les ressources terrestres (l’eau, le sol, les éléments minéraux et la roche mère) et entre les énergies cosmiques (la chaleur, la lumière, l’air et l’eau encore). Une des  différences entre l’agriculture biologique et l’agriculture bio-dynamique, réside dans les énergies et la mise en valeur de ces énergies, d’une part par l’application de préparations dynamisées, à base de plantes et de minéraux, et d’autre part parce que les bio-dynamistes travaillent en fonction des positions planétaires, qui imposent un rythme aux hommes autant qu’aux plantes. On distingue des périodes favorables aux racines, à l’expression végétative, aux fleurs et aux fruits. Les préparations spécifiques seront mises en œuvre en fonction du calendrier bio-dynamique.
 Clonage et biodynamie
En ce qui concerne le clonage, l’avis des viticulteurs bio-dynamistes est relativement unanime. PEYROULOU (1993) écrit que : si les vieilles vignes produisent toujours de meilleurs vins, les raisons tiennent non seulement à leur vieillesse et à leur faible rendement, mais aussi à la diversité de leurs cépages.  Qu’est-ce qu’un clone sinon la monoculture poussée à son paroxysme ? Cette conception, purement technocratique, qui conduit à la reproduction d’un seul sujet, le meilleur soi-disant, à des dizaines de millions d’exemplaires, ne relève-t-il pas d’un idéal contestable, surtout qu’à l’origine, la définition du “ meilleur ” était liée à des critères botaniques et purement quantitatifs. Pour les bio-dynamistes, c’est le résultat d’une sélection végétale trop intensive, qui fragilise la plante et qui serait une des causes de la recrudescence des maladies dans les vignobles.
Sans vouloir être radical, seule cette viticulture peut prétendre revendiquer les notions de terroir et de typicité, aujourd’hui usurpées en toute indifférence.

1.3.2.6 Conclusions

Nous avons fait l’inventaire des différents modes de conduite de la vigne en essayant de dégager les approches de chacun d’eux. Dans le bilan, il est essentiel de décrire objectivement le système pratiqué pour s’assurer que le mode de production est en phase avec les objectifs choisis, en terme de qualité définie, de gestion et de communication.
Nous avons longuement décrit ces différents systèmes pour que chacun en comprenne les enjeux et les contraintes. Nous verrons dans le paragraphe 6.2.2.6 comment passer d’un mode à un autre. Le tableau qui suit rassemble tous les éléments ;  en partant de son itinéraire cultural, on sait vers quel type de viticulture on s’oriente.
  
 
Vignoble Industriel

Vignoble artisanal
        -             +
Vignoble de niche
Lutte systématique
le plus courant
possible
non
Lutte raisonnée
possible
de + en +
au moins
Lutte intégrée
non
rare
oui
Mesures prophylactiques
non
non
+ ou -
oui
Agriculture biologique
non
possible
souhaitable
Agriculture bio-dynamique
non
possible mais rare
souhaitable
Travail du sol
non
non
+ ou -
oui

1.4 Le bilan technique

Dans ce paragraphe, nous allons définir quelle est l’approche produit. Berthomeau, dans son rapport au Ministre de l’Agriculture (2001), dresse un état des lieux de la viticulture française en vue de se positionner à l’exportation. Il parle de vin voulu et de vin subi.

1.4.1 Le vin subi

C’est un produit que l’on conçoit en partant de la production, on l’élabore comme on a toujours fait dans la famille ou dans le coin. Cette catégorie rassemble curieusement les deux extrêmes, le meilleur comme le pire : le meilleur quand on a la chance d’exploiter un de ces grands vignobles, à la notoriété acquise, basée sur un usage local et constant cher à la notion d’appellation d’origine. C’est justement le classicisme, cette tradition presque immuable, qui attire le consommateur en lui servant de référence rassurante. On comprend que ce style de vin, issu d’un vignoble de type niche, se vendant tout seul avec beaucoup de valeur ajoutée, n’a pas besoin de nos conseils, quoi que ! Jusqu’à un passé récent, ces grands vins étaient des leaders hégémoniques sur la plupart des marchés. Ils sont aujourd’hui malmenés par de nouveaux grands vins, de conception différente mais très appréciée et forts chers.
Non contant d’atteindre une qualité nature comparable, ils communiquent différemment et réussissent à imposer de nouveaux repères en terme de qualité valeur.
Même dans cette élite autrefois intouchable, une veille économique est nécessaire et une étude pointue s’impose sous peine de surprise à court terme.
Le cas de ces grands vins sera repris dans le paragraphe suivant, les vins voulus, même si le marché est né de l’offre. Aujourd’hui, se trame un renversement de tendance et l’offre, quoi qu’on en dise,  est influencée sur le plan technique par la demande.
Le pire maintenant représente hélas des volumes importants qui génèrent des flux inadaptés aux marchés. Ces vins encombrent les places commerciales, tirent les prix à la baisse et de ce fait, nivèlent la qualité par le bas. Ils sont élaborés sans se poser de question autre que celle de leur collecte pour une destination inconnue. L’itinéraire technique à la vigne comme au chai est souvent simpliste.
Ce genre de viticulteur est désintéressé, il se cantonne à la production pour différentes raisons. La plus simple mais la plus lourde de conséquence est l’atavisme : on a toujours fait comme ça et on comprend mal pourquoi on devrait changer quelque chose qui fonctionnait auparavant. Il y a peu d’espoir d’évolution.
Une deuxième raison apparaît lorsqu’un vigneron vend du raisin ou du vin à un négoce ou une cave coopérative : la division des responsabilités. Il considère souvent son travail accompli à la livraison et attribut à l’autre la responsabilité de l’élaboration, de l’élevage et de la commercialisation. En cas de mévente, c’est toujours la faute de l’autre !
Ce genre de collaboration connaît des améliorations avec l’instauration d’un cahier des charges contractuel et d’une rémunération différenciée. Cependant, l’inertie humaine compromet souvent l’adaptation de l’offre à la demande.

1.4.2 Le vin voulu

            C’est le vin qui satisfait au créneau désiré, défini à partir d’une étude marketing construite. Pour que ce soit bien clair, nous allons reprendre nos trois types de vignoble et nous poser une question simple : viticulteur ou  œnologue ?
            Dans un vignoble de niche, on  recherche un vin très concentré, à forte typicité, empreint du lieu et souvent de l’usage parce que ce sont ses meilleurs arguments commerciaux, après sa notoriété. On favorisera ce qu’il y a de versatile dans la nature comme l’expression du terroir et le mésoclimat (effet millésime). C’est bien à la vigne que se fait le vin et notre exploitant se doit d’être un vigneron pour obtenir ce raisin à fort potentiel qualitatif, différent d’année en année. Une fois au chai, on s’appliquera à préserver ce potentiel et on fera en sorte qu’il s’exprime pleinement.
            Dans un vignoble industriel, on vise un volume donné d’une qualité nature requise. La récolte est considérée comme une matière première qui, une fois au chai, va être valorisée au fur et à mesure du procédé d’élaboration. L’exploitant est ici œnologue, il usera des techniques de pointe pour atteindre la qualité définie. De la vigne au vin, on va chercher à s’affranchir des facteurs naturels en ayant recours à des techniques contre aléatoires. Pour cela, on peut imposer arômes et saveurs durant la vinification ou gommer les différences par un assemblage judicieux. En conciliant quantité, qualité voulue et constance, ce type de vin est bien adapté à une démarche de marque.
            Dans un vignoble artisanal, l’exploitant est vigneron et œnologue. Grâce à un terroir assez expressif, il obtient un raisin au potentiel intéressant. Il lui donnera un petit coup de pouce au chai pour atteindre le niveau recherché.
N’être que vigneron ou qu’œnologue serait une erreur. Rappelons que le terroir n’a pas seul les capacités à donner un raisin à fort potentiel chaque année. A l’inverse, le tout technologique ne permet pas d’obtenir une qualité réellement démarquée (le terroir laisse toujours son empreinte), une constance suffisante et encore moins le volume pour répondre aux marchés des vins précédents.
            L’heure du bilan a sonné, le diagnostic de l’exploitation doit clairement définir chacune des productions en terme de famille (niche, artisanal, industriel) et de volume.

2 Adapter son outil de production

         2.1 Adapter l’encépagement

            Dans ce paragraphe, on suppose qu’on a la possibilité juridique de modifier la nature ou la taille du vignoble. On va juste mener une réflexion sur les raisons qui nous pousseraient à changer l’encépagement.

                        2.1.1 On restaure l’exploitation

            Le cas le plus courant est en réalité une remise à niveau du potentiel qualitatif ou quantitatif du vignoble. Il n’est pas rare qu’une exploitation possède encore de très vieilles parcelles plantées avec des cépages inconnus, interdits, ou déconseillés (décret cépages recommandés, autorisés). On procède à l’arrachage puis à la reconversion. On en profite pour choisir le ou les cépage(s) adapté(s) aux nouvelles orientations.
Dans le même registre, on dispose d’une vieille vigne, appréciée pour la qualité de ses raisins, mais dont le rendement devient vraiment trop faible (inférieur à 10 hl/ha). On va arracher et replanter le même cépage.

                        2.1.2 Le développement de l’exploitation

            On dispose déjà d’un potentiel de production performant et on réfléchit à des perspectives d’expansion qui dépendent directement des marchés à satisfaire.
Si on souhaite augmenter les volumes des même produits, on va accroître la surface du vignoble avec les cépages existants, en respectant les proportions légales ou nécessaires à l’assemblage.
            On peut aussi avoir détecter un  marché nouveau, nécessitant la plantation de cépages absents sur l’exploitation. Sous réserve qu’on dispose des droits de plantation, des terres compatibles avec le projet, on rencontre souvent l’écueil des décrets d’appellation qui limitent le choix du cépage à ce qui existe déjà, autant dire qu’on se retrouve dans le cas précédent. On peut recourir à une plantation en VDP ou VDT, théoriquement incompatible avec la production d’AOC sur la même exploitation, sauf cas particuliers. Tous les textes sont clairs, qu’ils soient nationaux ou européens, la plantation d’une parcelle en VDT sur une zone apte à  revendiquer une AOC compromet l’expansion de l’exploitation en AOC pour au moins 5 ans.
            L’application du texte est différente avec, dans certaines régions, une tolérance accrue. On ne peut donc proposer de solution générale si ce n’est d’inviter chaque intéressé à se renseigner précisément sur les conséquences de cette démarche.

2.1.3 Adapter son encépagement ?

Créer son entreprise ou la développer est toujours motivé par une vision en terme de surface et de type de vin. Cependant, une plantation coûte cher, elle ne donne des résultats satisfaisants qu’après 7 à 10 ans. Il faudra attendre 15 à 20 ans pour prétendre au plein potentiel de production qualitatif et quantitatif. Autrement dit, on ne peut directement adapter son encépagement à des tendances et ce serait même dangereux. On assiste chaque décennie à des revirements de préférence entre vins blancs et vins rouges, à des engouements fiévreux pour certains cépages, à finalement des feux de paille qui s’achèvent par des arrachages à perte, sans avoir bénéficié de la période faste.
Une tendance est bénéfique lorsqu’on l’anticipe. Une plantation contemporaine à un succès sera généralement passée de mode au moment où elle atteint son plein potentiel.
Une étude marketing rigoureuse sert justement à détecter un marché à venir, tout en se méfiant des biais de l’évidence ou du néant. Je veux dire par-là qu’un marché très attractif va rapidement être convoité et pourvu par un grand nombre (le Danemark en ce moment). A l’inverse, un marché qui n’existe pas est laissé pour compte alors qu’il suffit de le créer.
            Alors, si une opportunité sérieuse se présente, sans réelle assurance de durée, il est préférable de s’orienter vers la location des vignes qui permettront de satisfaire cette demande. Ainsi, on n’hypothèque pas la pérennité de l’entreprise en cas de crise. Dans la réalité, c’est difficile car l’opportunité est généralement collective sur le lieu, elle concerne un type de vin et les viticulteurs qui le produisent ne seront pas enclins à louer leurs terres, en période d’essor.
Le moyen le plus adaptatif est sans doute le changement de statut, en passant de celui de viticulteur à celui de négocient. Il permet de répondre à des demandes en temps réel et au coup par coup : être opportuniste. Cette possibilité statutaire est particulièrement judicieuse en période de crise où les marchés se désorganisent et sont instables.
            
         2.2 Adapter la conduite du vignoble

On peut aborder ce sujet de deux manières selon que l’on souhaite modifier la conduite proprement dite ou le système de lutte.

            2.2.1 Adapter la conduite

Cette démarche se fait généralement dans le sens d’un accroissement de la concentration des vins et d’un retour à l’entretient du sol.
Concernant la concentration du vin, comme nous l’avons évoqué, elle dépend directement du volume produit par pied. Le viticulteur qui mène cette réflexion sait très bien que certaines parcelles de son exploitation ne peuvent atteindre un seuil qualitatif à cause d’un rendement trop élevé.
 Elles peuvent être trop vigoureuses à cause du porte-greffe (SO4), d’un sol pas assez limitant, ou d’une densité de plantation trop faible pour le rendement économique souhaité. Pour le porte greffe, on n’a pas de solution si ce n’est une coûteuse vendange en vert avant véraison. Si le sol est trop généreux, on peut concurrencer l’alimentation hydrique et azotée avec l’enherbement, en s’assurant que le terroir pourra compenser la sécheresse. Quant à la densité de plantation, il n’est pas possible de la corriger sans grands frais. Dans des vignes larges (3m) et pas trop âgées, certains ont replanté un rang supplémentaire  sur l’inter rang. Cette solution diminue le coût de revient par rapport à un arrachage et une replantation totale mais surtout, évite les baisses de volume et de qualité liées aux premières années de la replantation. La solution radicale est de repartir à zéro sur une parcelle saine, à fort potentiel, et de choisir densité, palissage et conduite adaptés. Bien entendu, c’est aussi la plus coûteuse. On rencontre souvent un frein à l’évolution vers des vignes étroites, à haute densité de plantation, à cause de l’outillage qui se retrouve inadapté en largeur. Bon nombre de viticulteurs se découragent devant l’ampleur des bouleversements qu’une telle décision implique. Sur l’entretient du sol, revenir à cette pratique sous-entend qu’on était en mode non travaillé de type industriel. L’évolution est souvent complémentaire du passage en lutte raisonnée. Les techniques et les outils sont assez simples, elles sont rapidement mises en œuvre.

2.2.2 Adapter son système de lutte : le client est roi !

Dans la plupart des vignobles, on mène une réflexion sur les modes de lutte. Mis à part les irréductibles partisans  de la lutte chimique systématique, tout le monde s’accorde à penser qu’on utilise trop d’intrants. Il faut dire que les résultats sont de moins en moins probants, des phénomènes de résistance accrue ou des maladies restent sans traitement. Un deuxième facteur intervient avec le coût des traitements qui grève sérieusement le coût de production. La raison environnementale qui devrait être prioritaire est invoquée dans les projets politiques mais rarement sur le terrain. En revanche, il existe un contrepouvoir au lobby de la chimie, tout simplement le consommateur qui par ses achats, a insufflé  à la filière un vent d’écologie. La grande distribution a détecté la première cette demande de produits plus sains, à l’origine et la composition connues. Elle a créé ses propres cahiers des charges à destination des fournisseurs, intégrant les inquiétudes alimentaires et les exigences environnementales des citoyens consommateurs. Ainsi, la lutte raisonnée, la traçabilité et les démarches qualités font leur chemin dans une filière récalcitrante. Depuis les dernières crises alimentaires (vache folle, listériose, dioxines…) et l’arrivée des O.G.M., les médias se font le relais d’une perte de confiance des consommateurs dans les produits alimentaires, confirmée par les enquêtes. Les Français sont en majorité persuadés que les risques alimentaires sont en augmentation alors que notre alimentation n’a probablement jamais été aussi sûre : c’est le “ paradoxe de l’omnivore ” selon Fischler (1990). L’homme a une attitude, fortement marquée par l’inconscient, qui l’amène à vivre l’ingestion des aliments avec un sentiment d’angoisse. La communication actuelle entretient l’amalgame entre nourriture et santé et plus particulièrement l’assimilation inconsciente du mangeur à son aliment, ou à sa boisson. Cette angoisse renforce l’effet de peur et d’insécurité quand les aliments deviennent brusquement la cause de maladie, voire de mort. La demande du citoyen consommateur est résolument orientée vers la sécurité alimentaire, avec tous les aspects que cela comporte. Le succès des labels, des indications de qualité mais aussi des marques confirme cette tendance. Au-delà du résultat, le citoyen s’attache maintenant à la manière, animé d’une responsabilité collective aussi fascinante que la défense d’une grande cause.
La société attend du secteur agricole une gestion plus environnementale du territoire en se basant sur les impacts négatifs de cette activité : les pollutions des eaux et du sol, la résistance des insectes et champignons pathogènes, même des plantes aux produits phytosanitaires qui entraîne un excès de traitements. Le vin tient une place à part dans ces craintes : un sondage SOFRES en 2001 a montré que le consommateur français a une perception idéalisée du produit qu’il considère comme “ le fruit de la terre, du climat et d’un travail humain tenant de l’art ”. En contrepartie, 60% de la population interrogée pense que c’est un produit “ entièrement naturel ”, sans aucun traitement. On constate une grande méconnaissance des pratiques viticoles et œnologiques. La demande des consommateurs qui s’impose progressivement à l’agriculture semble être la voie d’avenir de la vitiviniculture. Les pratiques sont mal connues du grand public qui réagirait vivement s’il prenait conscience des nombreuses interventions de la chimie pour que la vigne, plante fragile, lui donne son verre de vin sacré. Aussi, réfléchir à de nouveaux modes de production qui intègrent les notions  de traçabilité, de sécurité alimentaire, de filière “ propre ”, de patrimoine relève d’un devoir d’anticipation.

2.2.3 Le label lutte  raisonné

            Il est tout à fait adapté à cette demande des metteurs en marché et à la production. De nombreuses structures coopératives et des négociants ont convaincu leurs apporteurs d’adopter ce mode de conduite. Aujourd’hui, il existe plusieurs cahiers des charges différents dans leurs buts mais on devrait voir apparaître un label national certifié par des organismes indépendants, selon le principe de l’agriculture biologique.

                        2.2.4 Le sigle A.B.

Les produits issus de l’agriculture biologique sont identifiés par le sigle AB. Ce logo, propriété du Ministère de l’Agriculture, permet au consommateur “ d’identifier avec certitude les produits de l’agriculture biologique ” (F.N.I.V.B., 1998).Concernant les produits transformés, le logo AB et le terme “ agriculture biologique ” peuvent figurer dans la dénomination principale (ROUSSEAU, 1991d) seulement si 95% des ingrédients les composant en sont issus. Ce logo assure donc au consommateur le respect de l’environnement et la traçabilité absolue tout au long des étapes de production et de transformation (F.N.I.V.B., 1998).

2.2.5. Demeter et Biodyn

La biodynamie n’est pratiquée que par 6% des agrobiologistes. On compte environ 350 membres du Syndicat d’Agriculture Bio-dynamique (SAB). En 1995, l’Association Demeter France (organisme certificateur des produits issus de l’agriculture bio-dynamique) comptait 192 titulaires de la marque Demeter et Biodyn (pour la reconversion), soit une surface totale de 5987 ha. Dans le monde viticole français, 43 viticulteurs adhèrent au SAB, mais beaucoup pratiquent certains principes bio-dynamiques sans pour autant vouloir dépendre du cahier des charges Demeter (chiffres fournis par le SAB).

2.2.6. Des certifications et des contrôles stricts

La procédure de certification est très stricte. Le contrôle et la certification des produits biologiques sont réalisés dans chaque état membre de l’U.E. sous sa responsabilité, par des organismes qui doivent se conformer à la norme européenne de certification EN 45011.
            En France, trois organismes certificateurs ont été nommés par le C.N.L.C.P.A.A., et agréés par le CO.FR.AC. : Ecocert, Qualité France, et SO.CO.TEC. S.A.. “ Leur agrément est renouvelé tous les trois ans, après un audit approfondi ”, précise la F.N.I.V.B. (août 1998).
Au niveau des opérateurs de la filière, ROUSSEAU (2000) explique qu’ils doivent notifier leur activité chaque année auprès de le D.D.A.F.. En deuxième lieu, les agriculteurs doivent soumettre leur exploitation au régime de contrôle par un organisme certificateur agréé (le plus souvent ECOCERT, qui contrôle 95% du marché selon F.N.I.V.B., 1998). La notification doit comprendre le nom et l’adresse de l’opérateur, la localisation, la nature des opérations et des produits, “ l’engagement de l’opérateur à respecter les méthodes de production biologique ”, et le nom de l’organisme agréé concerné (LESTOILLE, 1994). Par la notification, la certification “ A.B. ” est renouvelée chaque année.
La procédure de certification exige également des plans de contrôle rigoureux. Chaque exploitation est contrôlée au moins une fois par an.
L’opération se déroule en deux étapes : - enquête physique sur l’exploitation, prélèvement d’échantillons, rapport de contrôle,
                                                                       - examen du rapport de contrôle par le comité de certification, qui décide l’attribution de la certification (F.N.I.V.B., 1998).
Pour l’instant, nous n’avons évoqué qu’une partie de la réglementation, générale à toutes les cultures. Mais certains aspects de cette réglementation sont particuliers aux vins issus de raisins de l’agriculture biologique.
Ces différences de réglementation imposent des contraintes d’étiquetage et de commercialisation spécifiques aux viticulteurs bio, difficiles à accepter selon la F.N.I.V.B. (1998) :
                        - interdiction d’utiliser le logo AB sur les étiquettes de vin, de commercialiser des vins de table faisant référence à l’agriculture biologique, de faire référence à l’agriculture biologique dans le même champ visuel que les mentions obligatoires, d’utiliser le terme “ produit de l’agriculture biologique ” ;
                        - obligation d’utiliser une périphrase redondante pour faire référence à l’agriculture biologique : “ vin issu de raisins provenant de vignes cultivées selon le mode de production biologique ”.
Depuis la création de la réglementation, l’agriculture biologique, plus qu’une philosophie, est devenue une véritable technique raisonnée et appliquée à tous les modes de productions.
Selon ROUSSEAU (1991d), “ la réglementation de l’agriculture biologique est exemplaire, en ce sens que les produits sont strictement définis par des cahiers des charges de production, soumis à un contrôle annuel ”. Même si l’interdiction d’appliquer le logo et la dénomination “ agriculture biologique ” constitue un frein à son développement, cette certification “ permet une valorisation des efforts des producteurs qui se sont engagés dans cette voie ” (DE SILGUY, 1991).

2.2.7 En pratique

            Le passage de la lutte systématique à raisonnée se fait en douceur parce qu’on n’a pas réellement recours à de nouvelles techniques. En revanche, la méthode nécessite de s’informer, de s’abonner aux avertissements, et de s’engager à respecter un cahier des charges. L’évolution vers la lutte intégrée est plus difficile. Elle nécessite un niveau de connaissance en viticulture mais surtout en nature assez poussé. De plus, cette démarche correspond à un changement de conception total, une philosophie différente. On va progressivement réhabiliter un écosystème intégrant au mieux la vigne. Il va falloir s’habituer aux vignes “ sales ” et aux railleries du voisinage. Le plus dur à acquérir est la notion de perte de récolte acceptable. La conversion met au poins 5 ans à porter ses fruits ce qui nécessite une certaine foi pour mener l’entreprise à bien. L’aspect financier va jouer dans la mesure où les coûts de production vont augmenter pendant que les rendements baissent un peu. Il va donc falloir pratiquer des prix plus élevés, au risque de désappointer une partie de notre clientèle. Le changement devra s’accompagner de beaucoup de communication et d’un nouveau positionnement. Pour faciliter cette transition, on peut convertir progressivement le vignoble en commençant par les parcelles à plus fort potentiel, et financer le surcoût par des vins à rotation rapide (rosés ou blancs secs en VDP). Ce mode de lutte  peut prétendre au label lutte raisonnée. On aborde maintenant le cas des agricultures naturelles, juste continuation de la lutte intégrée. Contrairement à l’idée reçue, ces techniques nécessitent un haut niveau de connaissance et de rigueur, doublé d’humilité et d’une grande curiosité. La conversion est lente et parsemée d’embûches. Les 2 ou 3 premières années se passent bien, on est même surpris que se soit aussi facile. Puis commence à se poser le problème des fumures, azotées notamment, qui sont onéreuses ou de certains prédateurs récalcitrants, sans parler de cette herbe envahissante. Ce mode de conduite ne s’adresse qu’à des viticulteurs particulièrement sérieux et acharnés. La revitalisation du sol, si tant est que son état soit réversible, prend 5 à 10 ans, autant dire que la patience est reine. Souhaitant pousser le concept au bout des choses, on va vouloir élaborer “ bio ”, sous-entendu sans adjonction ni de levure, ni d’antiseptique. Il va falloir vinifier dans une ambiance chirurgicale pour obtenir un vin sans altération. Si on n’est pas encore découragé, la récompense arrive et le résultat est à la hauteur du labeur. Certains Domaines viticoles célèbres, en agriculture biologique mais surtout bio dynamique, offrent des vins à la complexité inégalée, consacrée par les sommeliers des meilleures tables de France.
La mouvance vers ces modes culturaux est réelle, elle génère chaque année de nouvelles cuvées qui        alimentent les chroniques. Cette famille est hétéroclite, elle comprend des viticulteurs de grand terroir qui réfléchissent à leur rôle, de grosses, voire énormes entreprises, qui remettent en cause leur méthode ou encore des néo-viticulteurs, illuminés ou avisés, qui vendent leurs essais plus de 200 € la bouteille !

2.2.8 Conclusions

Passer d’un mode à l’autre est une mutation profonde de l’entreprise qui  ne concerne pas son fonctionnent mais les concepts de son fonctionnement. La pratique n’est qu’une conséquence du raisonnement et ici, en changeant d’objectif, on change de pensée. On voit trop souvent des viticulteurs modifier quelques pratiques pour satisfaire à un cahier des charges, viser une certification permettant l’accession à des marchés éphémères, ou recevoir des aides de pseudo améliorations. Dans la réalité, ils produisent, à quelque chose prés, la même qualité de vin, cette qualité subie qui les a conduits à des difficultés. Lorsqu’on les consulte, ils sont persuadés de s’être adaptés, d’avoir évolué et répondu à la demande. Comme quoi, il y a pire que quelqu’un qui ment, c’est quelqu’un qui se trompe !

         2.3 Adapter sa vinification

            Il n’est pas question ici d’entamer un cours d’œnologie. On considérera que le lecteur possède  les connaissances théoriques en matière de chimie, biochimie et  microbiologie du vin ainsi que les tenants et les aboutissants des techniques actuelles. D’une manière générale, si on veut mener à bien cette réflexion sur l’entreprise et mettre en œuvre une méthode et des outils judicieux, il faut se documenter, savoir glaner des avis de sources différentes, pour se forger une connaissance objective. L’enjeu est de définir une stratégie pertinente, au lieu de copier des solutions chez les voisins sans comprendre pourquoi elles s’avèrent inadaptées.

2.3.1 Un outil essentiel : l’analyse sensorielle

            Dans toute approche produit, l’analyse sensorielle est l’outil d’aide à la décision, de la vigne jusqu’à la table, mais aussi du marché jusqu’à la vigne.
            Attention, nous parlons bien d’analyse sensorielle, pas de commentaires de dégustation pour visiteur. Cette discipline est rigoureuse et permet, grâce à une méthode préétablie d’apprécier par la saveur et les arômes, la qualité d’un produit alimentaire. Elle s’enseigne dans toute la France. Il est nécessaire d’être formé et de pratiquer régulièrement pour rester compétent, pas que chez soi, au risque de perdre toute lucidité face à la concurrence.
 Elle permet d’évaluer un potentiel qualitatif avant, pendant et à l’issue de l’élaboration, de mesurer les effets d’une technique, de conduire une vinification jusqu’aux objectifs organoleptiques définis. L’utilité de cette technique ne s’arrête pas au chai, on doit pouvoir suivre l’évolution du vin. La dégustation d’un jour donnera un instantané du vin, une photo à replacer dans un film, celui de la vie du produit. Savoir élaborer le vin satisfaisant au marché, c’est bien, le vendre au moment opportun, c’est mieux. Comme l’entraîneur qui planifie la montée en puissance de son équipe, le maître de chai doit être capable de situer l’apogée de son vin et seule une analyse sensorielle performante le lui permet.
C’est surtout le seul lien qui existe entre le consommateur, le réseau commercial étape par étape et la production. Aussi, elle doit être maîtrisée par tous les maillons de la chaîne, ne serait-ce que pour parler le même langage et s’accorder sans distorsion sur les mêmes bases. Que l’on parte du marché ou que l’on parte du produit, l’analyse sensorielle est essentielle car elle va déterminer si produit et marché sont en phase.
Au même titre que les connaissances théoriques, l’analyse sensorielle fait partie des compétences de base qu’un décideur doit maîtriser.
En dernier lieu, elle s’avère très efficace dans l’analyse externe ou la veille pour évaluer le positionnement qualité d’un produit sur son segment.

                        2.3.2 Conditions communes à toutes les vinifications

Il est nécessaire de préciser quelques points qui doivent aujourd’hui constituer le minimum d’exigences à avoir. Quel que soit le type de vin retenu, on doit récolter un raisin sain, exempt de pourriture (couleur et arômes) et mûr (couple acide/sucre conforme à l’usage). Sauf accidents climatiques, il faut tout mettre en œuvre pour que ces paramètres soient acquis naturellement. On obtiendra toujours un meilleur résultat plutôt qu’en corrigeant la vendange, la notion d’équilibre qui conditionne grandement la sensation de plaisir en dépend.
Une défaillance régulière du raisin est la conséquence d’une mauvaise implantation du vignoble ou d’une conduite inadaptée : copie à revoir ! Considérer le travail de chai comme compensatoire d’un niveau qualitatif déficient est de nos jours une erreur, nos concurrents l’ont bien compris. On ne fait pas d’un âne un cheval de course, quelle que soit la compétition.
            Partant d’une matière première satisfaisante, le travail œnologique va donc consister à développer des qualités intrinsèques ou non.
 
                        2.3.3 Réussir un vin technologique : maîtriser le process

            Sous-entendu, il va acquérir la plupart de ses qualités organoleptiques grâce à des techniques. Ces vinifications sont particulièrement bien adaptées aux vins blancs secs et aux rosés. Le premier souci est de préserver la matière première de l’oxydation, qu’elle soit chimique ou enzymatique, catalysée par des températures élevées. On évite ces problèmes par des vendanges manuelles mais souvent, elles sont trop coûteuses pour la plupart des vins. En vendanges mécaniques, on améliore les conditions en récoltant la nuit ou tôt pour obtenir les températures les plus fraîches et on inerte la vendange avec de la neige carbonique. On peut aussi, protéger la surface de la vendange en pulvérisant du SO2 et en bâchant. Les temps de transport seront réduits au maximum. Arrivée au chai, la vendange est rapidement mise en œuvre, dans un matériel vinaire (cuve, pompe, tuyaux, fouloir-érafloir, pressoir, …) parfaitement propre. Pour tout ce qui est macération pelliculaire et débourbage, l’abaissement des températures doit être rapide, garantissant ainsi l’inhibition de microorganismes indésirables. Cela nécessite une disponibilité et une quantité de frigories importantes. Dans la conception du chai, on sur dimensionnera la capacité du groupe de froid pour prévenir tout besoin accru. Une étape importante est l’usage de levures aromatiques. Elles sont très puissantes et apportent les arômes souhaités à condition de maîtriser les températures de fermentation entre 16 et 18°C. Une fois finis, ces vins sont stabilisés, clarifiés et peuvent être rapidement commercialisés. Leur expression aromatique est éphémère et leur consommation doit intervenir dans l’année.
Parmi les techniques utilisées, on doit parler de l’élevage en fût lorsqu’il a pour but avoué de marquer le vin. Bien adapté au vin rouge, il est assez facile de typer le produit grâce au fût. Il est vrai que les arômes toastés et vanillés apportent un complément agréable aux gammes fruitées. L’ensemble, resitué dans son contexte est apprécié par son public. Pour des raisons de coût, on ne peut utiliser de fût de chêne français. En revanche, le fût de chêne américain permet ce type d’élevage. En raison de la violence de ses arômes et de leur vitesse de diffusion, il permet un passage marquant et rapide (2 mois). La futaille peut ainsi accueillir 6 fois son volume par an et donner un vin “ élevé en fût de chêne ” à moindre coût (cf. gestion). Toujours dans la même optique, une nouvelle technique se développe ; elle combine l’usage des copeaux à la micro oxygénation. Elle est peu répandue en France où elle se heurte à une barrière juridique mais elle fait son chemin à l’étranger.

2.3.4 Réussir un vin de niche

            On change de catégorie et on passe presque à la micro vinification, au “ vin de garage ”. Tout est parti d’une parcelle isolée, d’une vieille vigne, ou d’un grand terroir, ce coin dont on ne comprend pas tout mais dont on sait qu’il donne un raisin exceptionnel. Le travail consiste à faire s’exprimer ce potentiel unique. La vendange sera manuelle, peut-être suivie d’un tri pour que le raisin soit pur, débarrassé de tout débris végétal. Les opérations sont habituelles et respectent les principes de préservation de la vendange, avec une pointe d’attention et d’excitation supplémentaire.
Le levurage n’est pas pratiqué systématiquement dans la mesure où on pense qu’un grand terroir a son cortège de levures autochtones, intéressantes pour la typicité recherchée. Lorsqu’il est pratiqué, on choisit une souche réputée localement pour valoriser ces fameux arômes de terroir, non pour en rajouter d’autres. Les moûts destinés aux vins blancs secs et liquoreux sont entonnés. Les moûts rouges vont subir des macérations longues, conduite par l’analyse sensorielle. On cherchera une extraction poussée sans défaut. Pour cela, on ne doit pas sacrifier la qualité des tanins à leur quantité. La cuverie est toujours à l’échelle de la récolte, c’est-à-dire de petit volume. Les cuves béton sont très appropriées à la macération de ces raisins à cause de leur inertie thermique.
            L’élevage prend toute son importance, il est souvent pratiqué en fût de chêne français et dure de 1 à 2 ans. Le but est opposé au vin technologique en ce sens où, on ne cherche pas à marquer le vin avec la barrique. Au contraire, ce type d’élevage est réussi lorsqu’on ne perçoit pas ou si peu le passage en fût qui devient le révélateur du vin.

2.3.5 Réussir un vin artisanal

            C’est peut être le plus difficile tant il va falloir faire preuve de modération. Il n’y a pas de recette miracle, on s’inspire des 2 méthodes précédentes en ne perdant pas de vue le type de marché auquel on destine les vins.
Certains se positionnent sur le marché des vins de niche, en misant sur une concentration issue de vinifications soignées mais coûteuses, autant que la communication nécessaire.
D’autres raisonnent en coût de production, subissent les marchés à la baisse et réduisent leurs efforts qualitatifs. Ils se rapprochent doucement mais sûrement des vins industriels sans comprendre qu’à cause des volumes autorisés plus restreints à l’hectare, ils ne peuvent être compétitifs et dégager de la valeur ajoutée. Pire encore, ils s’aventurent sur le terrain où la concurrence est la plus féroce, avec des armes inégales en faveur des pays émergeants.
            Chacun choisira son camp mais un argument doit être retenu : la technique s’exporte, pas le sol. Autrement dit, obtenir un vin grâce à la technique est reproductible partout dans le monde et souvent à moindre coût. En revanche, élaborer un vin qui doit son agrément au lieu ne peut être copié. La solution se trouve peut-être dans un compromis entre typicité et plaisir, ou dans l’adaptation de l’identité à la tendance.

2.3.6 Ne pas se tromper de combat

            Jusqu’à présent, nous avons pudiquement parlé de vin artisanal et de vin industriel. En France, les critères de production pourraient correspondre à ceux d’un vin d’appellation d’Origine Contrôlée pour le premier et d’un vin de pays pour le second. On a tendance à concevoir la nomenclature VDT, VDP, VDQS et AOC comme une suite logique, une hiérarchie pour le vigneron, une stratification pour le consommateur. On y associe une notion graduelle, même inconsciente, de qualité et c’est une erreur.
Il n’y a en réalité que 2 familles sans filiation aucune. La première, codifiée VDT au niveau européen, rassemble VDT et VDP sur notre territoire. Ils dépendent de l’ONIVINS et leur agrément doit répondre à un cahier des charges définissant la qualité nature, auquel s’ajoute une dégustation confirmant la qualité plaisir.
La deuxième famille comprend VDQS et AOC dépendant de l’INAO en France, regroupés en VQPRD à l’échelle européenne. L’agrément répond à un cahier des charges plus complet et plus strict (dont analyse chimique et dégustation) qui atteste d’un usage local et constant.
Comme le précise le texte, il ne garantit ni un niveau qualitatif, ni l’agrément du consommateur. L’exemple de l’AOC foin de la Craux illustre bien ce propos. Or, bon nombre d’exploitants considèrent l’accession ou l’agrément à l’AOC comme un label de qualité qui suffira à vendre leur production. Cet amalgame est dangereux parce qu’on se trompe de communication, et donc de cible. Si on souhaite faire un “ bon ” vin au sens “ qui plait ”, la démarche la plus adaptée et la plus souple est celle des vins de pays, avec une démarche de marque. En revanche, si on souhaite élaborer un vin “ typique ”, c’est à dire qui plait à ceux qui apprécient cette particularité, le concept d’appellation est plus approprié. Ces 2 mondes semblent opposés, incompatibles, et pourtant, si on pouvait obtenir un vin “ typique de marque ”, cela ouvrirait de nouveaux  horizons, ne serait-ce que pour affronter la concurrence à armes plus égales.

2.3.6 Réussir un vin d’AOC et de marque

            On a d’un côté une AOC obtenue en valorisant ce qu’il y a d’aléatoire, produite par une multitude d’entités, à raison de nombreux petits volumes variés mais dont la notoriété est un réel atout. De l’autre on souhaiterait développer une marque qui nécessite de gros volumes d’une qualité suffisamment constante pour permettre la communication et la fidélisation.
Techniquement, la solution se trouve dans l’assemblage et les négoces puissants de la région bordelaise l’ont compris depuis bien longtemps. Les leaders à l’export, mais aussi sur le marché national, Mouton Cadet et Malesan, concilient parfaitement les impératifs de l’AOC et de la marque. Ils achètent un grand nombre de cuves sur la zone, cette dispersion atténue les expressions localisées. L’assemblage permet d’atteindre l’objectif organoleptique, le goût recherché de chacun des vins. La suite est un problème de communication et de marketing, fort bien abordé par ces maisons à la vue de leur position.
 Une seule AOC en France a cette démarche depuis toujours, c’est la Champagne avec ses cuvées non millésimées. Le travail du maître de chai est justement de s’affranchir de cette nature versatile pour obtenir  l’expression typique à chaque maison. Pour cela il garde 5, voire 7 millésimes de tous les vins et grâce à l’assemblage, il élabore le vin de base qui correspondra aux futures attentes. On ne cherche pas des terroirs neutres, au contraire, on les laisse s’exprimer dans des vins typiques et complexes pour ensuite les harmoniser grâce à l’assemblage, comme un compositeur équilibre ses instruments.

3 La qualité 

Introduction : il est amusant de constater avec quelle facilité on emploie ce mot en lui attribuant des significations bien différentes, si différentes que finalement, chacun la définit comme ça l’arrange. La qualité peut être synonyme d’un état caractéristique, bon ou mauvais d’ailleurs. Dans un “ vin de qualité ”, elle est associée à la valeur, à la supériorité et au sens figuré, au mérite ou à l’aptitude. Le vigneron en use, le consommateur en rêve, le qualiticien en vit et tout ce petit monde s’entend difficilement parce que la qualité revêt des aspects variés, voire opposés dans notre filière. C’est bien dommage quant on sait qu’un consensus autour de ce mot permettrait à l’ensemble des concernés d’être satisfaits.
Pour cette première approche, nous allons d’abord définir les points essentiels. En général, lorsqu’on aborde la question d’une démarche qualité dans une entreprise viticole, le sujet fâche ! Trop souvent réduite à des contraintes, à de la paperasse pour pas grand chose, on a perdu de vue l’extraordinaire outil d’optimisation qu’elle représente, sur le plan des ressources humaines, de l’efficacité technique et commerciale et donc de la rentabilité.
Dans notre secteur, peu de démarches sont formalisables en totalité mais l’esprit qui les anime est une force indispensable à la réussite humaine et financière.

3.1 Le besoin de “ qualité ”

            Aujourd’hui, de nombreuses entreprises du secteur agroalimentaire s’orientent vers une politique “ qualité ” axée sur le client final alors que pendant longtemps, elle était centrée sur  le produit lui-même. La définition de la qualité donnée par la norme ISO 8402 est à l’origine de cette nouvelle démarche :
“ La qualité est l’ensemble des propriétés et caractéristiques d’un produit ou d’un service qui lui confèrent l’aptitude à satisfaire des besoins exprimés ou implicites ”.
Le client final est le consommateur, il a une perception globale de tous les paramètres qui entourent le vin : sa composition, sa présentation, son histoire, la disponibilité, les services, etc.… . Il se prononce sur la qualité à partir de cette perception générale.
On doit intégrer un deuxième facteur prépondérant avec la dimension d’échange du producteur au consommateur qui appelle le développement d’une référence d’ordre juridique. L’orientation vers la qualité, quelle que soit sa définition, s’accompagne d’un tissu de règlements, de lois et décrets, de codifications et certifications diverses.
L’histoire de la viticulture et du vin est jalonnée d’avancées techniques et juridiques interdépendantes pour satisfaire un même but de qualité. Ce produit universel et si ancien à traverser les siècles en générant une réflexion permanente sur ce qu’était “ sa qualité ”. Les questions qui se posent aujourd’hui sont nombreuses et plus on avance, plus la complexité des systèmes apparaît. Le vin, comme les produits alimentaires les plus nobles, fait appel à une notion de qualité qui, même dans son sens le plus moderne et  officiel, est issue d’une quête ancienne et jamais achevée.
On commence à entrevoir la difficulté d’entreprendre une démarche vers la “ qualité ” tant ce mot aux allures si simples peut s’avérer impalpable. Il rassemble des paramètres en perpétuelle évolution et fait appel à des obligations différentes selon son utilisateur.
Aussi, nous allons débuter ce chapitre par quelques définitions de manière à parler le même langage, définir par la suite les mêmes objectifs, et surtout proposer des démarches judicieuses.

3.1.1 La qualité vue par le consommateur : quelle signification ?
                        
                                    3.1.1.1 La qualité plaisir

            Quel est le dernier “ vin de qualité ” que vous avez consommé ? Posée comme ça, la question fait tout de suite penser à la notion de qualité plaisir reprise par J.BRANAS (1977):
“La consommation du vin ne se justifie que par l’agrément qu’elle procure par une sensation immédiate, complexe, à la fois visuelle, olfactive et gustative. La qualité est l’intensité et la délicatesse de cet agrément ”. C’est une approche simple et vraie, subjective et hédoniste. 
                        
3.1.1.2 La qualité nature

En deuxième lieu, on pense à une qualité appréciée à partir de critères objectifs et mesurables ou qualité nature. Par un certain nombre de mesures, on définit des caractéristiques quantifiées qui permettent de décrire le produit sans jugement de valeur, sans faire appel à son degré d’excellence. Elle porte sur des limites acceptables généralement requises sur le plan sanitaire et apporte une sécurité alimentaire.

                                    3.1.1.3 La qualité valeur

En parallèle de cette qualité presque cartésienne se trouve la qualité valeur ou qualité psychologique. Elle ne se réfère plus à des mesures mais à des qualificatifs (Grand Cru, … ), des évocations (antériorité), des connotations (être à la mode), et relève du comportement individuel sous contrôle du comportement collectif. La qualité valeur est directement liée à l’intérêt.
DUBOS décrit un produit de qualité comme étant celui qui éveille un désir chez ceux qui se trouvent en mesure de l’acquérir.
On note que ce désir n’est pas motivé par un besoin physiologique, il peut être provoqué ou accru par la publicité. En s’inscrivant dans cette qualité là, on se déconnecte du rapport qualité/prix qui conditionne souvent l’achat d’autres produits agroalimentaires. La même qualité nature peut évoluer vers différentes qualités valeurs, d’où l’importance du marketing et de la communication à défaut d’une notoriété acquise. Trop de publicité peut aussi conduire à une promotion en tant que vin de qualité d’un produit dont les caractéristiques ne permettraient pas son classement dans cette catégorie. On a assisté à des retours de bâton catastrophiques pour l’avenir de l’entreprise. Ceci étant, cette notion offre des perspectives économiques considérables.

                        3.1.1.4 A retenir

Il est très important d’intégrer ces notions en se posant une question simple :
Quand je vends une bouteille, quelles proportions du prix reviennent à la qualité plaisir, à la qualité nature et à la qualité valeur ?
Si on répond à cette question, on est capable de définir la marge de manœuvre et les moyens d’actions, la communication pour chacun des produits, les voies de  progrès à privilégier ou au contraire, les efforts inutiles à éviter. Finalement, mener cette réflexion permet de confirmer que la stratification de la gamme est judicieuse. A partir de ce moment là, on peut causer stratégie !
Si en plus, les données comptables sont pertinentes, on peut se positionner sur un marché en proposant un rapport qualité(s)/prix maîtrisé, autrement dit, on est compétitif.

3.1.2 La qualité vue par l’entreprise

            Maintenant, nous allons aborder des notions différentes de la qualité comme l’entend un qualiticien. Ces notions vont vous paraître abstraites et inutiles alors qu’elles sont à la base d’une réussite consommée.
                        3.1.2.1  La qualité innée

La qualité innée marque le caractère du vin comme il apparaît naturellement, spontanément. Elle a servi de base à la réglementation destinée à définir et à défendre le caractère naturel du vin. Elle inclue la notion de qualité nature et de qualité plaisir pour les consommateurs à qui le vin plaît.
                                    3.1.2.2  La qualité acquise

            On se rapproche ici des notions qui interviennent dans les démarches qualité d’entreprise. On va progressivement modeler la qualité innée pour l’adapter aux goûts en ayant recours aux facteurs humains. On s’engage sur la voie d’une normalisation animée d’un certain rationalisme qui aboutit à la qualité acquise.
Cette démarche peut être dangereuse dans le cas de vin dont la qualité innée ne suffit plus à les vendre. Il est toujours tentant, parfois nécessaire, de glisser vers la tendance du moment à grand renfort de technologie. On s’affranchit peu à peu du caractère naturel et localisé.

                                    3.1.2.3 La qualité seuil

La qualité est aussi relative à des besoins exprimés qui permettent de fixer une limite. La qualité seuil est la qualité minimale compatible avec l’évolution tendancielle des besoins ou des désirs exprimés par un groupe défini de consommateurs dans une aire territoriale donnée. Cette notion prendra tout son sens en marketing  où l’étude du comportement d’achat et de consommation d’une population permet de dégager un besoin.

                                    3.1.2.4 La qualité différentielle

Elle concerne un type de vin individualisé par rapport à d’autres afin d’assurer la satisfaction d’un désir différencié des consommateurs qui recherchent dans sa consommation un agrément particulier. C’est souvent une appréciation relative qui conduit à hiérarchiser les vins les uns par rapport aux autres. Plus simplement, la qualité différentielle est “ le plus ” qui fait qu’un client achète un vin plutôt qu’un autre.

                        3.1.2.5 Définir la qualité attendue

Du point de vue du client, la qualité attendue est la synthèse des prestations à partir d’un besoin  à satisfaire et de l’élection d’une qualité différentielle. Cette sélection permet de définir le produit idéal et de constituer un référentiel. Dans la pratique, on a recours aux entretiens qualitatifs individuels avant achat. Si on le réalise après consommation, on notera les attentes d’amélioration.

                        3.1.2.6 Et la qualité perçue

Quant un client fait son choix, il ne dispose pas de tous les éléments ; la qualité attendue n’est en réalité que potentielle. C’est bien à l’usage, en fonction des évènements, que le consommateur se forge un avis. Si la qualité perçue correspond, voire dépasse la qualité attendue, le client est satisfait. Il se fidélise et devient un promoteur du produit.

                                    3.1.2.5 La qualité totale

            Grâce à ces différentes approches, on apporte un sens à la qualité, le but n’étant pas de la définir mais de savoir l’atteindre et ensuite de la contrôler.
Le concept de qualité totale rassemble le contrôle qualité, l’assurance de la qualité et la gestion globale de la qualité.
Le contrôle qualité est la mesure à posteriori de la conformité du produit par rapport à une spécification technique ou un cahier des charges. Les défauts, essentiellement techniques, sont détectés dans l’entreprise et non plus chez le client. C’est une approche de prévention des risques vis-à-vis du client. On évite le retour client toujours préjudiciable sur le plan économique et en terme d’image.
L’assurance de la qualité a pour objectif de démontrer au client la capacité organisationnelle de l’entreprise à maîtriser la qualité de son processus d’élaboration et donc de ses vins. L’approche étant rigoureuse et systématique, elle est formulée dans les référentiels ISO 9001 à 9003.
La gestion globale de la qualité est une approche systématique qui implique l’ensemble des ressources humaines de l’entreprise sur les plans économique, technique et social. L’entreprise doit réaliser des profits pour assurer son développement, innover et retourner un profit mérité à ses partenaires. Sur le plan technique, les réflexions et la créativité se matérialisent dans l’innovation, dans l’amélioration du processus d’élaboration, et dans l’évolution vers les schémas de qualité retenus. Quant à l’aspect social, l’entreprise dispose souvent d’un potentiel humain de créativité sous estimé.
La qualité totale vise à faire participer tout le personnel, dans tous les secteurs, à l’amélioration de la qualité sous toutes ses formes : l’homme y trouve un accomplissement professionnel au-delà d’un certain épanouissement.
Après ces précisions, nous allons voir en quoi consiste une action qualité et surtout, quels avantages l’entreprise pourrait retirer de la mis en place de cette démarche.

3.1.2.6 Dans tout ça, que doit-on garder ?

Que l’on parle de qualité innée, seuil, différentielle, attendue ou perçue, l’élément clé est l’avis du consommateur. En pratique, la question devient : quand, comment et où je collecte ce précieux avis, déterminant dans l’efficacité des décisions ?
Cette approche nécessite la mise en place d’un réseau de “ capteurs actifs ” et d’un système de collecte et de traitement de l’information dont nous reparlerons par la suite.

3.2 La démarche

Toute action “ qualité ” engagée par une entreprise, indépendamment de sa taille, lui permet de prouver que, ses produits ou ses services, correspondent aux attentes de ses clients.
Souvent appréhendé comme une démarche normative pressante, elle est en réalité bien plus stratégique qu’il n’y paraît : elle permet de viser des objectifs de résultat au lieu de s’arrêter aux moyens. En maîtrisant les risques, on développe la compétitivité de l’entreprise : on la rend tout simplement attractive. Si la première étape est l’assurance de la qualité, l’objectif reste le management de cette qualité, autrement dit l’animation de la filière autour d’une idée forte : la confiance.
            Les premières normes (1987) ont souligné le caractère artificiel de certaines procédures, la nouvelle norme ISO 9001 (2000) se recentre autour de l’adéquation du système qualité et de la satisfaction du client. Outre le pilotage et la maîtrise des processus, on s’attachera à la gestion des ressources, animée par l’envie de s’améliorer. Les vrais clients de l’entreprise sont finalement toutes les personnes qui en attendent quelque chose (les clients, le personnel, les actionnaires, les partenaires et la collectivité).
            Le client est l’acteur principal de la démarche mais le personnel en est la ressource essentielle pour que l’entreprise s’intègre dans une logique qualité-sécurité-environnement.
            Nous allons exposer des méthodes et outils qui ne semblent utiles qu’à de grosses structures. Il est vrai qu’ils sont d’autant plus efficaces que l’entreprise est complexe mais pour autant, les principes sont applicables à de petites exploitations.
Une  démarche qualité est toujours révélatrice de défauts ou de faiblesses dont la résolution conduit à un meilleur fonctionnement et un gain de rentabilité.
            Alors, que l’on soit petit ou gros viticulteur, cave coopérative ou négociant, on trouve toujours un intérêt à remettre en cause son organisation.

         3.3 Les attentes du client

            La réussite d’une entreprise  dépend de sa capacité à écouter sa clientèle, de percevoir et d’anticiper sur le marché pour garder ses clients, en gagner de nouveaux et résister à la concurrence. Elle ne se contente plus de répertorier les motifs d’insatisfactions, elle devient sensible aux évènements et aux tendances que recèlent les opportunités de marché.
            Les nouvelles normes imposent la prise en compte du client sans fixer les moyens à mettre en œuvre. L’écoute permet l’anticipation des attentes ou la mesure de la satisfaction.

                        3.3.1 Anticipation des attentes du client

Pour caractériser ces attentes, on doit distinguer la qualité attendue de la qualité perçue. La première correspond au produit idéal recherché par le client  alors que la deuxième concerne l’usage du produit fait par le client.
            La Conception à l’Ecoute des Marchés ( C.E.M.) permet de préciser les attentes implicites que le consommateur ne formule pas systématiquement. Cette méthode passe par une phase quantitative (questionnaire de type Kano) et une phase qualitative (entretiens individuels). Elle distingue les attentes obligatoires (minimum requis), des attentes proportionnelles (plus c’est cher, plus on en a), puis des attentes attractives (la cerise sur le gâteau). La présence des fonctions attractives du produit engendre une grande satisfaction mais l’absence de ces mêmes fonctions ne provoque pas d’insatisfaction. C’est le “ plus qui fait la différence ” et rend le produit concurrentiel.
Pour anticiper de nouvelles attentes, les enquêtes doivent permettre un vaste tour d’horizon, prendre en compte les perceptions qu’ont les clients de l’offre concurrente, activer les capteurs aux points de contact avec la clientèle et favoriser un apprentissage continu.

                        3.3.2 Les réactions du marché : mesurer la satisfaction.

L’écoute attentive et l’écoute volontariste  sont deux approches à conjuguer pour évaluer l’insatisfaction du client mais aussi, son degré de satisfaction.
L’écoute attentive consiste à rassembler tous les signes de mécontentements spontanés et à les quantifier (réclamations, retours, avoirs remboursement). On peut alors rectifier les erreurs et rétablir une certaine confiance. On recueille aussi les signes de satisfaction.
L’écoute volontariste fait appel à une enquête méthodologique pour recueillir et exploiter les points de vue des clients, à commencer par les voies d’amélioration, voire d’innovation possibles, hiérarchisées. On instaurera progressivement au centre de la culture d’entreprise l’écoute client que l’on couplera à une restitution des réactions du marché induites par les actions d’amélioration entreprises.

                                    3.3.2.1 Techniques quantitatives classiques

            On dispose de plusieurs méthodes, à commencer par l’enquête de satisfaction par questionnaire. Un échantillon de personnes est invité à répondre à des questions généralement fermées (réponse par oui ou par non) pour faciliter le traitement des données. On peut terminer par quelques questions ouvertes. On peut procéder à une enquête postale sur un échantillon de clients. Le taux de réponse est généralement de 10%.
On peut pratiquer aussi une enquête par téléphone ; plus rapide et moins coûteuse, elle amène un meilleur taux de réponse. Vient ensuite le questionnaire automatique, qui est laissé à disposition des clients ; Il est assez peu adapté à une entreprise vitivinicole, si ce n’est à une structure importante d’accueil ou de vente. Le taux de réponse est souvent très faible.
Le questionnaire de type Kano permet de hiérarchiser les attentes clients identifiées lors d’une enquête qualitative. Ce questionnaire fonctionne comme un séparateur, il comprend une série de questions, chacune ayant 2 volets, et 5 réponses. Le dépouillement se fait par couple et permet de relativiser chacun des points.

                                    3.3.2.2  Techniques qualitatives classiques d’écoute client
            
L’entretient individuel permet d’explorer dans le détail le comportement face au vin et les motivations, à condition qu’il soit mené par une personne neutre. Il peut être directif, non directif ou semi-directif. L’entretient de groupe (Focus group) est bien adapté pour définir un problème, générer des idées ou tester un nouveau produit. Un animateur pousse les participants à s’exprimer, ils sont enregistrés ou filmés, puis on analyse leurs réactions entre professionnels. Les techniques projectives consistent à dissocier la question du sujet traité, on évite les obstacles comportementaux pour aborder des aspects moins conscients mais révélateurs.

                                    3.3.2.3  Nouvelles méthodes                

            Parmi les méthodes innovantes, la Réactivité à l’Ecoute Client (REC) par de l’idée que l’entreprise possède les ressources nécessaires pour l’écoute des clients, notamment au point de contact direct entre personnel (appelé capteur naturel) et clientèle. L’employé instaure un dialogue et en profite pour questionner, il recueille des informations. Cette démarche s’inscrit dans la logique de l’entreprise apprenante. Elle développe la culture client au sein de l’entreprise en faisant participer le personnel dans la chaîne de circulation de l’information.
            L’analyse des Chronèmes (ADC) permet de comparer la vision qualité du producteur à celle du client qui se superposent rarement quand le producteur ne prend pas en compte les constituants du référentiel qualité du client. Ainsi on repère les décalages et les points communs entre les référentiels de chacun, on précise les caractéristiques du produit qui apportent de la satisfaction, la transformation des attentes après consommation, les attentes insatisfaites, les prestations concurrentes et les indicateurs de satisfaction.
Cette méthode permet de redéfinir les objectifs qualité de l’entreprise et de mettre en place un plan d’amélioration qui sera suivi d’une mesure d’impact.
            Le NGT ou Nominal Group Technic dérive directement du Focus Group mais la méthode est plus structurée dans le but qu’émane un maximum d’idées. Des votes permettent de hiérarchiser les idées.
            Le client mystère est mandaté pour aller sur place, tester et noter la prestation,  pour savoir si la réalité correspond au cahier des charges.
            L’enquête client perdu, comme son nom l’indique, est un entretient direct ayant pour objectif de l’identifier et d’analyser les causes de sa désaffection.
            La visite GEMBA consiste à se rendre dans l’environnement du client pour comprendre où et quand le vin est consommé, et quels problèmes apparaissent à cet instant.

                        3.3.3 Qu’en penser ?

            Bien entendu, tout ne nous concerne pas mais un point est essentiel : l’idée de resituer le client quel qu’il soit (particulier, caviste, restaurateur, grossiste, petit ou gros distributeur ou tout simplement prescripteur) au centre de notre démarche. C’est bien grâce à lui qu’on vend alors il est bien normal que l’offre intègre sa perception.
            Les temps où on élaborait le vin d’abord, et on s’occupait de le vendre après est révolu. Les entreprises qui se réfugieraient encore dans cette approche sont, à mon sens, vouées à la disparition pure  et simple.
            
3.4 Les ressources humaines : la réussite

            Dans les nouvelles normes, le personnel est considéré en termes de compétences, de formation, de qualification et de sensibilisation. S’appuyer sur ces quatre points assure l’ancrage de la démarche qualité chez chacun des collaborateurs et sa réussite.  Toute démarche menée auprès du client est vouée à l’échec si  on néglige la participation des ressources internes, à chaque étape.
Les schémas classiques de management relèvent de la gestion scientifique où les tâches de chacun sont définies face à une autorité émanant de la direction. Lorsque l’entreprise se tourne résolument vers les marchés, les salariés fournissent plus d’efforts pour faire face à des responsabilités accrues et des prises de responsabilité décentralisées. Pour éviter stress et lassitude du personnel, il convient de mener une étude croisée des attentes de la clientèle et du personnel pour trouver un ajustement entre les deux. On peut utiliser les méthodes d’écoute client, qualitatives ou quantitatives, déjà énoncées mais il existe 3 outils plus spécifiques.
Le diagnostic socio-qualitique a pour but d’améliorer la performance de la démarche qualité à partir d’une étude préalable des réactions du personnel à un changement d’organisation dans le travail. Le dirigeant va intégrer cette contrainte humaine comme paramètre de son action et adapter sa communication. Cet outil  s’avèrera très utile en cas de changement de stratégie ou de modification importante des méthodes de travail, pour favoriser la cohésion de l’équipe de travail et son implication dans la démarche.
Qualidiag évalue l’efficience de la démarche qualité tout au long du processus d’élaboration par des entretiens individuels avec chaque intervenant. On peut identifier des dysfonctionnements, remonter aux causes et évaluer l’efficacité du système qualité dans son aptitude à éviter les problèmes ou à les résoudre. Cette méthode facilite l’acceptation de la démarche qualité dans l’entreprise car ce sont les salariés qui participent à l’amélioration.
Le référentiel de compétences recense et décrit les savoir-faire pour les affecter judicieusement aux contraintes de l’entreprise et à son développement. Il permet de valoriser les compétences individuelles dans un projet collectif.
Les résultats sont intéressants mais sont un point de départ. Ils devront étayer une politique intégrée du fonctionnement de l’entreprise. Il faudra collectivement établir mais surtout partager un schéma d’entreprise dans lequel chacun, y compris et surtout le management, sait quelle est son rôle.
Assurer sa mission nécessite de la connaître, de la comprendre, de la resituer en temps, lieu et importance, de penser avoir les compétences nécessaires et adaptées, de trouver un intérêt à la réaliser.

3.5 Synthèse

Dans cette première approche, je n’ai pas inventorié les différentes démarches qualité parce qu’elles me semblent inappropriées à la filière vitivinicole mais surtout, hors propos dans la réflexion actuelle.
En revanche, on peut en retenir certaines idées pertinentes et opportunes. Dans les grandes lignes, il faut d’abord définir le processus (d’élaboration) qui transforme une donnée d’entrée en une donnée de sortie. On inventorie les étapes et les acteurs, on doit pouvoir surveiller le processus et l’évaluer avec une mesure organisée.
La place du client est essentielle parce qu’il est la source et la finalité de la démarche. La responsabilité de la direction intervient dans l’identification des attentes du client, la définition de la politique qualité, la planification des ressources et la répartition des responsabilités visant à garantir son respect et son amélioration.
La mise en place des ressources humaines est nécessaire en terme d’effectif, de compétence et de sensibilisation.
Vient enfin la réalisation du produit qui s’accompagne de l’évaluation de la satisfaction client et des améliorations.

3.6 Discussion                                                                      

            Dans ces derniers paragraphes, on ne parle que de normalisation avec l’impression qu’en cherchant à maîtriser toutes ces étapes de l’élaboration, on risque obtenir une certaine constance, voire une uniformisation de nos vins. Cette vision semble assez contradictoire avec ce que nous avons exposé sur les terroirs, les vins artisanaux et les vins de niche qui s’inscrivent dans la démarche d’appellation d’origine. A. BERGER, ancien Directeur de l’INAO, avait engagé le débat dès 1990 à savoir si AOC et assurance qualité sont complémentaires ou antagonistes.
Une démarche d’assurance qualité a le souci tout à fait louable de rationaliser les processus de production et d’élaboration pour une meilleure maîtrise de la qualité, mais encore faut-il s’entendre sur la définition de cette qualité. La démarche ne porte normalement que sur l’entreprise et son organisation mais dans le domaine vitivinicole, il apparaît un risque d’interférence avec la définition même du produit. Ces  vins d’AOC très complexes et variables véhiculent une notion de qualité valeur qui génère un attrait tout particulier. Sur ce segment précis, la diversité est une richesse Simplifier le produit et uniformiser son image, c’est se priver d’une qualité différentielle primordiale dans le contexte actuel.
L’AOC favorise l’expression de la nature dans son intégrité avec le risque que cela comporte. Or, rationaliser un processus vise à une réduction des risques parce qu’un risque est un coût. Alors le vigneron peut intervenir, de deux façons : la bonne en respectant, voire en suscitant l’expression de la nature, la mauvaise en compensant la versatilité de la nature, et oui, on y revient !
Le problème est que la mauvaise est la plus rassurante et l’obsession de la sécurité pousse à la norme et au standard si apaisants. La répétitivité d’un processus inscrit dans une démarche d’assurance qualité est incompatible avec l’adaptation du geste aux circonstances, surtout quand on les a provoquées. On a trop souvent vu, dans le secteur agroalimentaire, les techniques contre aléatoires effacer la diversité née des terroirs, ce qui a progressivement marginalisé l’agriculture dans une simple contribution à l’élaboration de produits alimentaires. Dans le concept AOC, c’est la nature qui a raison et le consommateur recherche la garantie de cette authenticité.
















  
Virchenaud Jean-Hugues
Oenologue Consultant - Expert

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